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Les mains du miracle de Joseph Kessel : sublime et bouleversant !

28 mars 2020

Que peut-il y avoir de sublime dans une histoire qui nous plonge dans l’intimité d’un des plus grands bourreaux qui ait jamais existé ? Comment peut-on avoir un aussi gros coup de coeur pour un livre qui aborde déportation, famine, invasion et torture ? C’est pourtant le prodigieux miracle réalisé par Joseph Kessel. Écrit il y a plus de soixante ans, Les mains du miracle (Folio) est un bijou d’écriture qui vous saisit dès les premières pages.

Témoignage utile sur une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité, il se dégage de ces pages beaucoup de délicatesse et, paradoxalement, de lumière.

Lisez absolument Les mains du miracle !

 

Pourquoi ce livre ? 

 

Je dois à la merveilleuse Hélène, qui est un peu mon alter ego en matière de lecture, la découverte de ce livre. C’est avec une véritable passion qu’elle m’avait décrit son ressenti et il me tardait de découvrir cette histoire. J’en ai repoussé longtemps la lecture, craignant que le sujet ne me déprime. C’est tout le contraire qui s’est produit. Beaucoup d’humanité et de beauté traversent Les mains du miracle. Merci à Hélène de m’avoir fait découvrir ce coup de coeur, que je partage totalement !

 

Ça raconte quoi ? 

 

Qui parmi vous connaît le nom de Félix Kersten ? Personnellement, et bien que passionnée d’histoire, j’ignorais tout de l’histoire singulière de ce masseur qui soigna Himmler et sauva des milliers de personnes pendant la seconde guerre mondiale.

Là, Himmler n’était plus le maître de maison ou le chef des troupes spéciales et de la police secrète, mais le malade à demi nu et heureux de s’abandonner, de se livrer aux mains du miracle. p.79

 

Doté d’un puissant don pour soulager les douleurs, le docteur Félix Kersten jouit d’une réputation internationale et mène une vie rêvée. Jusqu’au jour où Himmler, le second d’Adolf Hitler, lui demande de soulager ses crampes à l’estomac. Réfractaire à l’idée, Kersten soigne et soulage pourtant Himmler. Avec un dessein : utiliser son influence sur le Reichsführer pour faire le bien et arracher à la mort des milliers d’innocents.

Et Himmler, qui avait une confiance absolue dans les mains de Kersten parce qu’elles avaient su deviner et apaiser son mal physique, accordait foi, maintenant à ses louanges, car elles découvraient et calmaient en même temps son mal psychique. p.132

 

La quatrième de couverture 

 

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Felix Kersten est spécialisé dans les massages thérapeutiques. Parmi sa clientèle huppée figurent les grands d’Europe. Pris entre les principes qui constituent les fondements de sa profession et ses convictions, le docteur Kersten consent à examiner Himmler, le puissant chef de la Gestapo. Affligé d’intolérables douleurs d’estomac, celui-ci en fait bientôt son médecin personnel. C’est le début d’une étonnante lutte, Felix Kersten utilisant la confiance du fanatique bourreau pour arracher des milliers de victimes à l’enfer.  Joseph Kessel nous raconte l’incroyable histoire du docteur Kersten et lève le voile sur un épisode méconnu du XXe siècle.

 

Et le style dans tout ça ? 

 

Les mains du miracle  est une merveille d’écriture … Tout est dit !

Puissant et délicat à la fois, emprunt d’une immense sensibilité, poignant, inoubliable. J’ai été émue, bousculée, bouleversée par la plume de Joseph Kessel. À bien des égards, ce livre m’a évoqué l’émotion que me procure la lecture d’un Barjavel. À tort ou à raison, mais le ressenti est bien celui-là. Étant une inconditionnelle de Barjavel, cela veut tout dire !

 

Verdict 

 

Tout est fort et réussi dans ce livre.

D’abord l’histoire évidemment. Parce qu’il s’agit d’une histoire vraie, elle n’en est que plus incroyable et plus poignante.

Les mains du miracle pourrait se résumer comme l’une des plus impressionnantes manipulations psychologiques de l’histoire, si l’ouvrage n’était pas beaucoup plus complexe.

Alors oui, il est question du don de Kersten et de son habileté pour la négociation. Usant avec instinct, tantôt de douceur, tantôt de fermeté, utilisant ici la flatterie et là le chantage affectif, ce qu’un seul homme a réussi à obtenir de ce haut dignitaire nazi connu pour sa rigidité et sa dévotion totale à Hitler est tout simplement stupéfiant ! Je n’en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher la découverte de ces épisodes dont j’ignorais totalement l’existence.

Ce qui m’a également beaucoup marquée, c’est la manière dont le rapport soignant/soigné est abordé. Ici, il est particulièrement flagrant de constater le rapport de dépendance qui s’instaure progressivement, offrant à Kersten un levier extraordinaire pour exercer son influence sur Himmler. Et ainsi, arracher des milliers de personnes à un sort funeste.

Enfin, j’ai trouvé fascinant la manière dont Joseph Kessel décrit subtilement la puissance des interactions entre le corps et l’esprit. Page après page, on découvre les ravages qu’un esprit torturé peut exercer sur un corps. Et inversement, le séisme émotionnel qu’un apaisement du corps peut déclencher. Y compris chez le pire des sujets.

« La tragédie de la grandeur, dit-il, est d’avoir à fouler des cadavres. Himmler laissa fléchir son menton sur sa poitrine creuse et demeura silencieux, comme accablé. Kersten dit alors : – Vous voyez bien : au fond de votre conscience, vous n’approuvez pas cette atrocité. Sinon pourquoi tant de tristesse ? » p.196

 

Toutefois, un point m’a quelque peu dérangée. En tout cas interpellée. En effet, la lecture de ce livre peut susciter de l’empathie. Voire amener à ressentir une forme pitié pour Himmler. Homme de pouvoir obsédé jusqu’à la folie par Hitler, tourmenté par des maux d’une violence inouïe, constamment sur ses gardes et profondément seul. Un homme confondant l’exercice d’une mission thérapeutique pour de l’amitié. Un homme soumis, accro à son médecin et qui apparaît dans toute sa vulnérabilité. Au point de faire passer au second plan les infamies qu’il a pu commettre. C’est le danger de ce livre, mais aussi sa richesse. Joseph Kessel casse complètement l’image manichéenne que l’on se fait d’un des plus grands tortionnaires de tous les temps. Pour mettre en avant ses fragilités … et son humanité.

Un ouvrage maîtrisé et bouleversant (c’est vraiment le mot), servi par une écriture inoubliable !

 

Extraits choisis

 

« Elles étaient des anges. Elles étaient des chimères poétiques. Il les traitait avec une galanterie désuète et des attentions exaltées. Ce comportement, peut-être, ne convenait pas à tout à fait à son teint florissant, à son embonpoint précoce, à la placidité de son visage ». p.27

 

« Elisabeth Lube et Félix Kersten savaient leur affection si rare et si précieuse qu’ils la mirent, par une sorte de réflexe, à l’abri des risques et des troubles dont l’eût menacée un sentiment d’une autre nature. Ils ne s’étaient pas trompés. Leur alliance dure jusqu’à ce jour, soit depuis près de quarante ans. Les péripéties d’une vie entière, les changements de fortune, de résidence, de condition familiale, la tragédie de l’Europe et cinq années terribles pour Kersten n’ont fait que renforcer la valeur et la beauté d’un lien tout spirituel, noué en 1922, entre la fille d’une bonne famille bourgeoise et un jeune étudiant très pauvre ». p.28

 

« L’autre méthode de thérapie manuelle, qui venait de si loin et de si haut, avait la précision et la souplesse du savoir et de l’intuition à la fois. Elle allait à la substance profonde, à la moelle de l’homme qu’elle avait à secourir ». p.32

 

« Le mois de juin était venu, radieux. Jamais le coeur de Kersten n’avait été aussi lourd. Il comprenait que la France était vaincue. Sans compter les conséquences que cette défaite avait sur son propre destin, il souffrait au plus profond de lui-même en songeant à ce pays dont sa mère avait parlé la langue comme une Française, dont l’ambassadeur avait été son parrain et qui représentait, à ses yeux, la culture la plus fine, l’humanisme le plus doux, la liberté la plus fière. Une grande clarté lui semblait éteinte qui avait illuminé le monde ». p.99-100

 

« Kersten sentit son pouls battre plus vite. Il y avait en effet, dans ce plan, une perfection terrible, celle qui marque la logique des fous ». p.168

 

« Le regard de Himmler s’arrêta sur les mains du docteur. Voilà cinq années que, fortes, douces, habiles, miraculeuses, elles extirpaient la souffrance de son corps. Et depuis cinq années, le docteur était le seul homme au monde auquel Himmler avait pu livrer toujours davantage ses espoirs, ses craintes, ses rêves ». p.326

 

« Ne serait-il pas plus vrai que, né pour l’obéissance la plus aveugle, hanté toute sa vie par le besoin éperdu, organique, d’être commandé, il lui a été nécessaire, quand, enfin, ses yeux se sont ouverts sur le désastre inéluctable et sur le gouffre où allait rouler bientôt son idole déchue, d’accepter, pour une soumission suprême, un autre maître ? »

 

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Lu en mars 2020 – En Touraine

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