Construction et déconstruction d’un mythe … Voilà comment on pourrait résumer Trust, une oeuvre à la narration éminemment originale de l’américano-argentin Hernan Diaz. Véritable sensation de cette rentrée littéraire et Prix Pulitzer 2023, c’était l’un des titres à ne pas manquer et je suis heureuse de vous en parler aujourd’hui. Un petit ovni très bien écrit et à la construction assez géniale, même si je suis personnellement passée à côté du coup de coeur …
Pourquoi ce livre
Parce qu’alléchée par d’excellentes chroniques lues ça et là. Parce que New York, parce que la finance et parce qu’envie d’un nouveau coup de coeur mêlant ces ingrédients après l’excellentissime Les frères Lehman.
La quatrième de couverture
« New York enflait de l’optimisme tapageur de ceux qui croient avoir pris de vitesse le futur. » Wall Street traverse l’une des pires crises de son histoire. Nous sommes dans les années 1930, la Grande Dépression frappe l’Amérique de plein fouet. Un homme, néanmoins, a su faire fortune là où tous se sont effondrés. Héritier d’une famille d’industriels devenu magnat de la finance, il est l’époux aimant d’une fille d’aristocrates. Ils forment un couple que la haute société new-yorkaise rêve de côtoyer, mais préfèrent vivre à l’écart et se consacrer, lui à ses affaires, elle à sa maison et à ses oeuvres de bienfaisance. Tout semble si parfait chez les heureux du monde… Pourtant, le vernis s’écaille, et le lecteur est pris dans un jeu de piste. Et si cette illustre figure n’était qu’une fiction ? Et si derrière les légendes américaines se cachaient d’autres destinées plus
sombres et plus mystérieuses ?
Ça parle de quoi ?
Trust, c’est l’histoire d’un magnat de la finance dans le New York de la première moitié du XXe siècle, avec un focus autour des années 30 et de la crise de 1929. L’histoire d’un homme qui prit à contrepied le marché avant le crash de 29 et s’enrichit d’une manière insolente et démesurée. Pourtant, ce génie de la finance demeure un mystère pour ses contemporains. Taiseux, peu enclin à participer à la vie sociale trépidante d’un New York en plein boom, l’homme intrigue, fascine, irrite … Mais qui est-il vraiment ? D’où vient-il ? Comment réussit-il à anticiper les évolutions du marché ? Pourquoi reste t-il dans l’ombre ? Et qui est cette épouse discrète et philanthrope disparue trop tôt ?
Il y a les histoires que l’on raconte et celles que l’on se raconte à soi-même. Trust est une histoire d’apparences, de représentations et de faux-semblants. Le mythe que l’on essaie de construire et l’envers du décor … Lecteurs : préparez-vous à être induits en erreur, bousculés, manipulés, trahis …
Et le style dans tout cela ?
Trust est un livre génial. Génial au sens premier du terme, parce qu’il y a du génie et beaucoup d’originalité dans la manière dont l’auteur a structuré sa narration. Quatre parties écrites dans des styles et tons différents pour se rapprocher page après page de la vérité. Le lecteur aurait pu s’y perdre mais il n’en est rien. L’alternance des différents récits permet de donner relief et profondeur à l’histoire et de comprendre les ressorts de la manipulation qui s’est jouée dès le départ … C’est brillant et très bien mené.
L’écriture m’a également beaucoup plu. Pour preuve, j’ai corné beaucoup de pages pour retrouver plusieurs passages forts et phrases marquantes.
Pour quel public ?
Pour ceux qui aiment les romans atypiques où l’on progresse par strates vers la vérité. Ceux qui aiment ou sont intéressés par l’histoire économique des Etats-Unis, même si je dois dire que je pensais que cet aspect serait plus central qu’il ne l’est en réalité. Parce que c’est un monde que je connais assez bien, j’ai été quelque peu frustrée de rester un peu en surface. En revanche, pour le lecteur totalement néophyte en matière de finance de marché, je pense à l’inverse que certains passages pourront sembler un peu ardus voire ennuyeux.
Verdict
J’ai entamé la lecture de Trust, le roman d’Hernan Diaz auréolé par la critique et Prix Pulitzer 2023 avec l’enthousiasme d’une lectrice qui avait été absolument bluffée et conquise par Les frères Lehman, le pavé atypique du génial Stefano Massini. En découvrant Trust et son pitch, j’espérais retrouver ce souffle, cet esprit un peu caustique et cette écriture drôle et pétillante qui avaient accompagné ce grand voyage à travers l’histoire économique et financière des Etats-Unis.
Bref, Trust est le livre de cette rentrée littéraire pour lequel j’espérais sincèrement avoir un coup de coeur. Parce que le cadre spatio-temporel et le thème m’intéressaient (le New York des années 20/30 et le secteur de la finance). Parce qu’une écriture riche et travaillée. Et parce qu’une construction permettant de lire ce livre comme on progresserait dans l’assemblage d’un bon puzzle.
Et pourtant, le coup de coeur n’a pas eu lieu. Si je reconnais à Trust une construction diaboliquement efficace et une réelle profondeur dans le propos, je n’ai pas été happée et séduite autant que je n’avais imaginé et souhaité. Là où j’avais été incapable de lâcher Les frères Lehman, j’ai progressé dans ce roman de manière assez poussive et sans entrain. Il m’a manqué quelque chose … Mais est-ce un livre dont je recommande la lecture ? Certainement !
Quelques extraits
« Mais c’était dans ces moments d’extrême obscurité que Rask atteignait véritablement des sommets, comme si c’était uniquement en pilotant sans visibilité qu’il pouvait voler aux plus grandes altitudes. Ce qui n’était pas une mince contribution à son statut légendaire ».
« La vitesse à laquelle Benjamin étendait sa fortune et la sagesse avec laquelle Helen la distribuait étaient perçus comme la manifestation publique du lien étroit qui les unissait. Cela, allié à la nature insaisissable, fit d’eux des créatures mythiques de la société new-yorkaise à laquelle ils accordaient si peu de crédit, et leur stature fabuleuse ne faisait que croître avec leur indifférence ».
« La plupart d’entre nous préfèrent croire que nous sommes les sujets actifs de nos victoires mais seulement les objets passifs de nos défaites ».
« Tout financier devrait être un esprit universel car la finance est le fil qui traverse tous les aspects de la vie. C’est, de fait, le noeud où sont réunies toutes les fibres disparates de l’existence humaine. Le commerce est le dénominateur commun entre toutes les activités et entreprises. Ceci signifie donc qu’aucun secteur n’échappe à l’homme d’affaires. Pour lui, rien ne doit être laissé au hasard. Il est le véritable polymathe, l’homme de la Renaissance ».
« Toute vie est organisée autour d’un petit nombre d’évènements qui soit nous propulsent soit finissent par nous entraver. Nous passons les années entre ces épisodes à bénéficier ou à souffrir de leurs conséquences jusqu’à l’arrivée du moment déterminant suivant. La valeur d’un homme est établie par le nombre de ces situations décisives qu’il est capable de se créer pour lui-même. Il n’est pas toujours nécessaire que ce soit un succès, car échouer peut être un grand honneur. Mais il se doit d’être l’acteur principal dans les scènes significatives de son existence, qu’elles soient épiques ou tragiques ».
« Car la pire littérature, disait mon père, est toujours écrite avec les meilleures intentions ».
« C’était la première fois que je lisais quelque chose qui existait dans un espace vague entre l’intellectuel et l’émotionnel. Depuis ce moment, j’ai identifié ce territoire ambigu comme étant le domaine exclusif de la littérature. J’ai aussi compris à un moment donné que cette ambiguïté ne pouvait fonctionner qu’en conjonction avec une très grande discipline (…) Vanner m’a donné un premier aperçu de cette région insaisissable entre la raison et le sentiment et m’a donné envue de la cartographier dans ma propre écriture ».
« L’auteur d’un journal intime est un monstre : la main qui écrit et l’oeil qui lit proviennent de corps différents ».
Lu à Saint Germain en Laye en septembre 2023
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