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Le grand feu de Léonor de Récondo : un court roman incandescent …

13 septembre 2023

Le grand feucomme ce titre est bien choisi pour ce court roman sensible, poétique, incandescent qui par bien des aspects m’a replongée dans ce qui m’avait conquise quand j’avais lu Pietra Viva… Léonor de Récondo, dont j’aime énormément la plume, nous gâte en cette rentrée littéraire avec ce nouvel opus dans lequel on sent qu’elle a mis énormément d’elle-même. Sa sensibilité, sa délicatesse, son amour de la musique, de l’art et du beau.

Un joli roman pour les amoureux de Venise, de la musique ou des histoires d’amour qui dévorent. Le grand feu est publié chez Grasset et figure dans la première sélection du Goncourt 2023.

 

Pourquoi ce livre ? 

 

Je ne rate jamais un livre de Léonor de Récondo dont j’aime énormément la plume, toujours pleine de délicatesse et de poésie. Quand j’ai vu que son nouveau roman se déroulait en plus à Venise et parlait d’une jeune violoniste (Léonor de Récondo est elle-même une violoniste hors pair), j’ai tout lâché et me suis précipitée sur Le grand feudès sa sortie. Comme j’étais en Italie, à Venise d’ailleurs 😉 et sans librairie française à proximité, je l’ai lu sur mon Kindle.

 

Ça raconte quoi ?

 

Venise, début du XVIIIe siècle. Ilaria n’est pas orpheline. Elle a seulement été placée à la Pietà, une institution pour jeunes filles lorsqu’elle était encore nourrisson. Sa mère, convaincue qu’elle aurait un grand destin, s’arrache à cette enfant aimée pour lui donner une chance de s’élever dans ce siècle marqué par les conflits et les épidémies.

À la Pietà, Ilaria cherche à combler un manque de tendresse propre à ceux qui ont connu un jour une forme d’abandon. Ce qui la sauve, c’est le violon. Le maître, Antonio Vivaldi, enseigne à ces jeunes filles, lui qui déjà connaît un succès fulgurant à Venise. Lors d’une de ces leçons, Ilaria rencontre Prudenzia, femme fille de la haute société qui vient ponctuellement étudier à la Pietà. Ces deux jeunes filles aux origines diamétralement opposées vont développer une profonde amitié. Grâce à cette amitié et à son talent, Ilaria va pouvoir goûter à la liberté, quelques heures durant. Le temps de découvrir tout un monde qui bourdonne en dehors de la Pietà. Jusqu’à croiser la route du jeune Paolo.

Le grand feu nous parle de l’art qui élève et qui sauve. D’obsessions qui dévorent. De passions qui consument. Mais aussi d’amitié qui libère.

 

La quatrième de couverture 

 

 » En 1699, Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d’étoffes, à Venise. La ville a perdu de sa puissance, mais lui reste ses palais, ses nombreux théâtres, son carnaval qui dure six mois. C’est une période faste pour l’art et la musique, le violon en particulier.
À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnées en leur épargnant infanticides ou prostitution. On y enseigne la musique au plus haut niveau et les Vénitiens se pressent aux concerts organisés dans l’église attenante. Cachées derrière des grilles ouvragées, les jeunes interprètes jouent et chantent des pièces composées exclusivement pour elles.
Ilaria apprend le violon et devient la copiste du maestro Antonio Vivaldi. Elle se lie avec Prudenza, une fillette de son âge. Leur amitié indéfectible la renforce et lui donne une ouverture vers le monde extérieur.
Le grand feu, c’est celui de l’amour qui foudroie Ilaria à l’aube de ses quinze ans, abattant les murs qui l’ont à la fois protégée et enfermée, l’éloignant des tendresses connues jusqu’alors. C’est surtout celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son cœur qu’elle les confond et s’y perd.
Le murmure de Venise et sa beauté sont un écrin à la quête de la jeune fille : éprouver l’amour et s’élever par la musique, comme un grand feu ».

 

Et le style dans tout ça ?

 

« La beauté, certains soirs, désarme la mélancolie » écrit Léonor de Récondo dans Le grand feu . Et elle a tellement raison. Les pages de ses romans regorgent immanquablement de cette beauté, de cette délicatesse. C’est ce que l’on vient chercher, me semble t-il, quand on ouvre une de ces oeuvres. J’avais été bouleversée par Pietra Viva. Un transport que j’avais retrouvé en lisant La grâce du cyprès blanc (coup de coeur absolu), Rêves oubliés ou encore Amours. J’ai retrouvé cette plume douce et poétique avec grand plaisir dans ce nouvel opus, là où le style de Revenir à toi était plus grave, réaliste et direct.

Donc oui, j’ai aimé le style de ce nouveau roman qui m’a ramené à ce qui m’avait tellement plu dans les premiers romans de Léonor de Récondo. Mais parce qu’il me faut être parfaitement honnête, j’ai parfois trouvé que certains passages étaient un brin trop lyriques. J’aime tellement quand l’écriture est soignée, poétique et sensible que jamais je n’aurais cru un jour formuler ce type de réserve. Et pourtant, c’est mon ressenti et je me suis fait la réflexion à plusieurs reprises pendant ma lecture.

 

Verdict

 

« Par magie, les murs s’écroulent, les visages s’effacent, tout se met à vibrer, onduler. Ça ressemble aux flammes d’un grand feu ».

Ce qui m’aura le plus touchée dans ce court roman lu en deux jours, ce sont les passages sur la musique. Léonor de Récondo, virtuose du violon, excelle à décrire ce lien si puissant entre le musicien et son instrument. Ce « grand feu » qui embrase. Par sa plume délicate et travaillée, elle sublime le rapport à l’art, ici  à la musique, comme elle l’avait déjà si merveilleusement fait avec la sculpture dans Pietra Viva. On sent que l’autrice a mis énormément d’elle dans ce roman plein de sensibilité, dont le style rappelle celui de ses premiers romans (tous magnifiques).

J’ai aimé être plongée dans la Venise du XVIIIe siècle. Venise est d’ailleurs un personnage à part entière et occupe une place centrale dans ce récit. J’ai aimé croiser Antonio Vivaldi et ressentir cette atmosphère d’effervescence de la période baroque en Italie. J’ai enfin aimé suivre la trajectoire de cette jeune fille touchante en mal de tendresse et de liberté, cherchant à s’émanciper grâce aux deux ressources à sa disposition : son talent et l’amitié sincère qu’elle entretient avec la fortunée Prudenzia. Finalement, l’histoire d’amour (avec un petit côté Roméo et Juliette sur lequel je ne m’étendrai pas) passe un peu au second plan. C’est en tout cas comme cela que je l’ai ressenti, sans pour autant trouver cela dérangeant. L’écriture de Léonor de Récondo est toujours aussi belle (même si ça et là certains passages sont peut-être un chouïa trop lyriques).

En cette rentrée littéraire, c’est une lecture qu’il serait dommage de manquer. Elle se savoure en écoutant un air de violon bien sûr, de Vivaldi si possible, et pourquoi pas en sirotant un bon Spritz (inventé à Venise je vous le rappelle).

 

Quelques morceaux choisis

 

« Mais là, dans ce lieu sacré, à l’abri du vacarme du monde, le petit Antonio avait été foudroyé par la joie. Lui qui ne connaissait que quelques quartiers de Venise, dont la vue de la lagune depuis le bout de la place entre les deux colonnes, avait perçu, dans un saisissement, comme la musique et la fugacité du son, un simple son, pouvait envahir tous les champs. Remplir la basilique entière et ce qui l’entourait, la ville, ses canaux et son ciel si vaste, projetant cette vibration aux confins de son imagination. Antonio avait alors compris que cette vibration ne s’éteint jamais. Perceptible ou non, elle demeure. Et lui, violoniste aujourd’hui, à chaque coup d’archet ne fait que la raviver ».

 

« Le désarroi de l’innocence face à la porte close du paradis. Elle croyait que la porte de cette tendresse-là ne se fermerait jamais ».

 

« La mère, notre mère, ne parle que de toi. On entend dans la mélancolie de ses soupirs, la blessure de l’amour éloigné ».

 

« Elle se demande si Venise est une ville d’eau parce que justement tout s’y enflamme. L’instant d’après, elle se laisse porter par la phrase suspendue du violon ».

 

« Alors, dans l’austérité du deuxième mouvement, dans ce grave qui scande les temps comme une inexorable pulsation, elle a commencé de défier chaque note, les a tordues, malaxées, elle en a fait une matière de glaise et, avec minutie, les a liées, agglomérées les unes aux autres, pour qu’assemblées, elles deviennent le cœur ardent de la matière, la sienne, qu’elle tisse, se jouant du tempo, abattant les échafaudages techniques, déconstruisant les accords. Ilaria migre. Elle compose ».

 

« Elle répond qu’en matière de flammes, elle s’y connaît. Parfois, elle brûle, quand elle joue du violon. Ça part de son cœur, jamais de son esprit, elle insiste : de son cœur et ça se propage jusqu’à ses mains, elle a l’impression que tout s’enflamme, la touche, le violon, les cordes qui s’entortillent sous la chaleur, alors elle s’enfuit où elle peut, elle plongerait volontiers dans la lagune ».

 

« Ce qui semblait invisible, il y a quelques instants, est maintenant perceptible à l’œil nu, planètes lointaines, murmure du monde qui parvient jusqu’à eux, unisson de leurs imaginaires dans cette nuit nouvelle. Et Ilaria, allongée sur le banc de pierre, caresse la chevelure de ce jeune homme dont l’amour, dans toute sa douceur et son audace, révèle soudain le sien ».

 

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Lu à Venise et terminé à Oulx en août 2023

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