Je ne regarderai jamais plus une vache et son veau de la même manière !
Appelez cela l’effet Corps de ferme … du nom du livre d’Agnès de Clairville publié chez Harper Collins.
Car dans ce roman rural extrêmement original, il n’y a pas un mais plusieurs narrateurs. Et ces narrateurs sont des animaux ! La vache pie noir, le chat tigré, la chienne épagneule, la pie font vivre ce roman choral particulièrement réussi.
La quatrième de couverture ne m’aurait jamais convaincue de lire Corps de ferme et c’est à reculons que j’ai entamé cette lecture. Pourtant, les premières pages m’ont totalement embarquée. J’étais tout à la fois déroutée par l’originalité de la narration, impressionnée par la qualité de l’écriture et la justesse des références au monde animal et terriblement intriguée de savoir où irait cette histoire.
De quoi parle ce livre ?
À la ferme vivent un couple de paysans taiseux et leurs deux garçons. La vie est rude, rythmée par les corvées à accomplir et plombée par l’angoisse des fins de mois. On parle peu, absorbé à la tâche. Les émotions sont tues, les maux également … Là où les humains sont incapables de verbaliser ce qui les habite, les animaux – observateurs et loquaces – décortiquent chacun de leur fait et geste et accompagnent le lecteur vers la découverte d’un terrible secret …
Mon expérience de lecture
Agnès de Clairville signe ici un roman extrêmement maîtrisé, documenté et palpitant. Je n’avais jamais rien lu de tel et c’est une formidable découverte.
Entre autres points forts, je retiendrai l’incroyable réalisme de cette narration animale. L’autrice a manifestement effectué un énorme travail sur le vocabulaire et sur le monde paysan. À tel point que l’on croirait presque entendre les véritables pensées d’une vache, d’un chat ou d’un chien. Le point de vue exprimé par les animaux est à la fois convaincant et touchant. Animalité et sensibilité n’étant dans Corps de ferme pas antinomiques. Les réflexions que nous livrent les animaux, notamment sur la maternité et l’attachement filial, sont profondes et marquantes.
Deuxième point fort : l’atmosphère pesante que parvient à mettre en place l’autrice et la tension qui va crescendo, à la manière d’un roman noir ou d’un polar. Le lecteur pressent un danger, devine un secret, tremble de savoir ce qu’il va découvrir plus loin, ce qui fait de Corps de ferme un véritable page turner.
Troisième point fort : il n’y a dans ces pages aucune caricature grossière du monde rural. L’autrice nous offre des personnages simples et complexes à la fois, sans jamais les juger ou nous inviter à le faire. Taiseux, endurcis, parfois lâches … on ne parvient pas à les détester. Bien au contraire … Parce qu’ils nous apparaissent tels qu’ils sont, avec leurs détresses intimes et leurs faiblesses, ils en ressortent profondément humains.
Enfin, l’écriture est belle, puissante, animale …
En conclusion
Je n’aurais jamais pu deviner qu’il s’agissait seulement du second roman de l’autrice qui fait avec Corps de ferme l’éclatante démonstration de sa maturité littéraire et de sa grande maîtrise tant du fond comme de la forme de son roman.
Bluffant et absolument remarquable !
Lu pour le Grand Prix des Lectrices Elle à Saint-Germain-en-Laye en 2024
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