Grand Prix des Lectrices Elle | Lectures

Né d’aucune femme de Franck Bouysse : un petit chef d’œuvre

26 avril 2019

Né d’aucune femme est un roman absolument remarquable. Un coup de cœur parmi les coups de cœur, bien que l’histoire soit difficile, sombre et versant à plus d’une reprise dans l’insoutenable. Une écriture impeccable de maîtrise, poétique et qui m’a profondément touchée. Sans aucun doute le plus beau roman lu pour le Grand Prix des Lectrices Elle 2019 !

Pourquoi ce livre ?

 

Né d’aucune femme est un autre exemple d’une excellente découverte proposée par le Grand Prix des Lectrices Elle. Un livre qui spontanément ne me disait rien. Pourtant c’est une pépite ! Merci au jury du mois d’avril grâce auquel elle est arrivée jusqu’à moi.

 

La quatrième de couverture

 

« Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile. – Et alors, qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ? demandai-je. – Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés. – De quoi parlez-vous ? – Les cahiers… Ceux de Rose. » Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin. Franck Bouysse, lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d’aucune femme la plus vibrante de ses oeuvres. Avec ce roman sensible et poignant, il confirme son immense talent à conter les failles et les grandeurs de l’âme humaine. ». 

 

Ça raconte quoi ? 

 

Dans un village des Landes, Onésime tente de faire vivre sa famille sans pouvoir y parvenir. Acculé et devant nourrir cinq bouches, il décide de vendre Rose, l’aînée de ses filles en servitude à un maître de forge vivant dans une forêt lugubre et lointaine. L’histoire débute ici à la manière d’un conte noir en huit clos et se poursuit avec la longue descente aux enfers de Rose. À l’œuvre, un plan diabolique dont on ne comprendra que trop tard les ressorts. Je n’en dirais pas davantage car il faut lire et faire l’expérience de ce livre sans idée préconçue sur ce qu’il contient.

 

Et le style dans tout ça ?

 

Dès la première page, la plume incroyablement belle et maîtrisée de Franck Bouysse transperce le lecteur. J’ai relu trois fois cette première page, juste pour m’en délecter.  L’écriture est sublime. Tantôt lyrique, tantôt glaçante mais toujours parfaitement juste et envoutante. Plusieurs narrateurs et points de vue viennent encore enrichir cette œuvre décidément bien singulière.

En refermant ce livre, je me suis demandée comment un roman aussi noir pouvait donner une œuvre aussi lumineuse ? Je ne suis pas certaine d’avoir la réponse. Pourtant c’est l’exploit que réussit Franck Bouysse avec ce livre d’une beauté renversante.

 

Pour qui ? 

 

Un public adulte uniquement. Certains passages sont très difficiles. Et pour les amoureux de la belle littérature !

 

Verdict ?

 

Il y a dans ce livre tellement de dimensions et de niveaux de lecture que l’œuvre ne peut se résumer en quelques lignes. C’est avant tout un formidable regard porté sur l’humanité dans tout ce qu’elle a de plus respectable comme de plus odieux. Une forme de Comédie Humaine qui aurait rencontré les Misérables. Ce livre parle de rédemption, de pardon, de remords, de résilience, de courage, de lâcheté, de machination, de cruauté, de crime, de folie, mais aussi d’amour maternel, filial, contrarié ou éternel.

Bouleversant et inoubliable.

 

Quelques passages et citations …

 

« Les retours ne sont jamais sereins, toujours nourris des causes du départ. Que l’on s’en aille ou que l’on revienne, de gré ou bien de force, on est lourd des deux » (p.10).

 

« J’embrassai ensuite la froide pierre de l’autel, offrant mon coeur à la Passion du Christ. Ce baiser dont je garde encore le goût lorsque me vient le désir du souvenir, comme tout homme qui souffre du présent » (p.15).
« Plus le temps passait, plus elle sentait son coeur d’abord incendié par la colère s’éteindre peu à peu, pour que ne subsiste plus qu’une pierre froide sous une ancienne coulée de lave » (p.200).

 

« Mais voilà, nul ne peut vouloir avec ferveur ce qu’on ne lui a pas appris à désirer. Ne restait plus qu’à protéger ces trois petits maillons d’une chaîne brisée ». (p.223).

 

« J’ai alors imaginé ce que pouvait être la grande obscurité d’avant ma naissance, une éternité qui avait pris fin au moment où j’étais sortie du ventre de ma mère, et aussi une autre éternité qui allait naître après ma mort, et qui aurait pas de fin, celle-là. J’étais coincée entre ces deux éternités, à penser à la folie que c’était de sortir quelqu’un d’une éternité paisible pour le rendre conscient de la prochaine, tout ce temps passé à pas comprendre pourquoi on est au monde tous autant qu’on est, pourquoi on tient tant à la vie, à essayer toujours de repousser le grand mur de la mort, alors qu’il suffirait peut-être bien de l’escalader, ou bien de passer à travers pour plus se poser de questions. Parce que vivre, c’est précisément être coincé entre deux éternités, la première qu’on a jamais eu à choisir et la deuxième qui est l’œuvre de Dieu, à ce qu’on dit« . (p.259).

 

« Une enfant qui bascule dans la femme, c’est ce que je suis redevenue dans le tourbillon, une enfant qui regarde la femme posséder le temps, une femme qui s’aventurera jamais plus loin que la vérité du tourbillon. Ce moment où tout aurait pu commencer, si le moment qui a suivi avait pas tout détruit ». (p.285)

 

« Regard désormais fourbi en direction de la bicoque invisible enchâssée dans la combe au bout du chemin, là où se trouve la vérité, là où il doit se rendre seul, sans pour autant renier le monde de l’esprit sain ; car il sait désormais qu’il lui faudra bien accepter son humaine destinée, avant de prétendre à l’infini d’une seconde ». (p.310)

 

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Lu en avril 2019

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