Lectures

Entre toutes de Franck Bouysse : l’émotion dans la simplicité

10 novembre 2025

Il y a des livres dont on sort ému sans trop savoir pourquoi. Qui vous marquent par la simplicité et l’authenticité de leur propos.  C’est le cas d’ Entre toutes du talentueux Franck Bouysse qui nous offre ici l’un de ses romans les plus personnels sans doute.

Roman rural, roman familial, roman hommage… Ici, n’attendez pas de spectaculaire ou une intrigue haletante. Entre toutes, c’est le récit d’une vie ordinaire – celle de Marie, la grand-mère de l’auteur – avec tout ce qu’elle a de sublime et de cruel. Un roman court mais profond, qui m’a beaucoup plu.

 

De quoi parle ce livre ?

 

L’histoire est celles de tant de nos aïeux : une vie ordinaire et simple, souvent rude, mais traversée par les sentiments humains les plus nobles : la dignité, la décence, l’amour. Ici, on traverse le 20e siècle avec Marie, la grand-mère de Franck Bouysse, dans une ferme en Corrèze.

 

« J’ai longtemps hésité avant de me décider à parler d’elle, à témoigner d’une époque que je n’ai pas vécue. Mais après tout, pourquoi pas. Pourquoi ne pas raconter son histoire, une histoire à ma façon, même si je n’en connais que des bribes, même si je mentirai parfois. Il n’y aura personne pour m’en faire grief, à part Marie, d’un air goguenard, dans les allées de mon esprit. Je sais qu’elle ne m’en voudrait pas de la grandir un peu, de lui faire un habit lumineux, à sa mesure, avec des haillons de souvenirs ».

Une vie c’est une naissance, les petites et les grandes épreuves de la vie, puis la mort. Entre toutes nous raconte Marie, dans tout ce qu’elle fut. Je n’en dirai pas plus car il serait dommage de trop en dévoiler.

Franck Bouysse a le talent de la justesse et de la sincérité. Pas besoin d’artifices ou de grands effets pour cela et pour qu’une vie mérite d’être racontée. Et j’ai infiniment aimé découvrir celle-ci !

 

Mon expérience de lecture

 

J’attendais ce nouveau Franck Bouysse avec une impatience folle. Souvenez-vous de mon immense coup de coeur pour Né d’aucune femme.

C’est grâce à ce roman sombre et lumineux que j’avais découvert cet auteur dont je suis religieusement l’actualité depuis. Quand j’ai lu que son nouvel opus parlerait de sa regrettée grand-mère et que l’action se déroulerait une nouvelle fois en pleine campagne, j’ai compris que l’auteur ferait ce qu’il sait faire de mieux. Un roman rural, puissant, où se mêlerait la poésie du style à la dureté des réalités vécues.

J’avais raison !

Mais, cette fois-ci, je dois dire que j’ai été un peu surprise. Car si les premières pages sont tout ce que je viens de décrire, le corps du récit n’est pas écrit sur le même registre. J’ai trouvé qu’il y avait dans la manière de raconter Marie, Clément et les autres une forme de retenue et beaucoup de pudeur. De la déférence même. Comme si l’auteur n’osait pas heurter ou abîmer son précieux sujet. Il ne s’impose jamais dans le récit, tel un spectateur discret et laisse son style s’effacer quelque peu pour laisser toute la place à ses personnages. Attention, je ne dis pas que cela ne fonctionne pas. On a l’impression de surprendre une conversation chuchotée, de pénétrer dans la mémoire des personnages et en cela, c’est très réussi. Mais j’ai été surprise par cette forme de distance, qui se retrouve dans l’écriture. Si vous lisez ma chronique de Kolkhoze d’Emmanuel Carrère, vous verrez que j’arrive à peu près à la même conclusion. Peut être est-il normal, finalement, de respecter cette respectueuse distance lorsque l’on s’attaque à la vie de quelqu’un que l’on a tant aimé ? 

Puis viennent les toutes dernières pages. L’auteur y reprend la parole, se dévoile un peu. Et là, soudain, son écriture se fait plus dense, plus vibrante — cette prose envoûtante qui nous avait peut-être manqué jusque-là refait surface. Elle agrippe, bouleverse et clôt de la plus douce des manières ce si bel hommage.

 

« Voilà que s’approche la fin, du moins une fin, celle qui s’est imposée au fil de l’écriture. Je sais combien la musique de l’âme emballe parfois la main, dans quels retranchements elle pousse la phrase qui ne veut pas mourir, qui veut se déployer vers l’infini, sans virgule ni point, comme un feu dans lequel on jette encore du bois pour ne pas qu’il s’éteigne. Oui, je confesse ces emballements qui auront mené ma pensée en des lieux incertains. Je confesse tout. Je ne veux pas être absous de ce péché-là qui n’avait d’autre but que de saluer Marie. Je crois à la rédemption des simples, au flux de conscience qui grandit la vérité. Je crois en ces lieux incertains, souvent obscurs, que seul peut éclairer le verbe. Je crois au sacre de l’hiver dans nos âmes déchues. Je crois à la symphonie de l’intime composée par nos plus grands chagrins. Je crois à la beauté des marches funèbres qui accompagnent chaque berceau de bois dans le jardin des morts ». 

 

 

En conclusion

 

J’ai refermé ce livre avec une gratitude immense. Cette histoire m’a bouleversée et m’a fait faire un véritable voyage dans le temps et dans mes propres souvenirs. Ma Marie s’appelait Marguerite, mon Clément s’appelait Raoul. Et quand j’ai lu Entre toutes, c’est un peu leur vie dans un hameau reculé de la Vienne que j’ai lue. Ils n’ont bien sûr pas eu le même destin, mais ils ont connu, eux aussi, cette vie exigeante et digne d’agriculteurs dans une ferme que l’on se léguait de père en fils depuis que les mairies tiennent des états civils. Il doit y avoir quelque chose de très primaire, inscrit dans nos gènes sans doute, dans la façon dont certaines histoires résonnent, vibrent en nous. Entre toutes est de celles-là.

Merci Franck Bouysse !

 

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Lu à Saint Germain en Laye en octobre 2025

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