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Les déracinés de Catherine Bardon : le début d’une saga prometteuse

24 septembre 2021

Ces jours-ci, j’enchaîne décidément les best-sellers… Après L’île des oubliés la semaine dernière, je vous parle d’un autre livre qui m’a bien plu : Les déracinés de Catherine Bardon. Un gros pavé qui est le premier tome d’une saga historique et familiale et qui nous emporte de Vienne à la République Dominicaine, dans les pas d’un couple juif persécuté dans la première moitié du XXe siècle. Un roman bien ficelé, qui s’inspire de faits réels et qui a été plusieurs fois primé.

 

Pourquoi ce livre ?

 

Encore une histoire d’exil ! Encore une saga familiale ! Oui et alors ? J’aime ces histoires de « déracinés », ces quêtes d’une vie meilleure, ces destins contrariés. Donc oui, ce livre avait tout pour m’attirer. Si l’on rajoute à cela les critiques très élogieuses que j’ai pu lire sur ce roman, vous comprendrez que je me sois laissée tenter.

 

La quatrième de couverture

 

Vienne, 1932. Au milieu du joyeux tumulte des cafés, Wilhelm, journaliste, rencontre Almah, libre et radieuse. Mais la montée de l’antisémitisme vient assombrir leur idylle. Au bout de quelques années, ils n’auront plus le choix ; les voilà condamnés à l’exil. Commence alors une longue errance de pays en pays, d’illusions en désillusions. Jusqu’à ce qu’on leur fasse une proposition inattendue : fonder une colonie en République dominicaine. En effet, le dictateur local a offert cent mille visas à des Juifs venus du Reich. Là, au milieu de la jungle brûlante, tout est à construire : leur ville, leur vie.
Fondée sur des faits réels, cette fresque au souffle admirable révèle un pan méconnu de notre histoire. Elle dépeint le sort des êtres pris dans les turbulences du temps, la perte des rêves de jeunesse, la douleur de l’exil et la quête des racines.

 

Ça raconte quoi ? 

 

Les déracinés s’ouvre sur la montée de l’antisémitisme en Autriche. Du rejet de l’autre et des idées nauséabondes qui ont précipité l’Europe dans l’horreur de la seconde guerre mondiale. C’est un roman qui nous parle de l’instinct de survie, de trajectoires contrariées et de rêves brisés. S’inspirant de faits réels, comme je l’écrivais en introduction, Les déracinés m’a également fait découvrir un pan de l’histoire dont j’ignorais l’existence : l’accueil par la République Dominicaine d’une colonie de juifs, plusieurs années même avant la naissance d’Israël.

Des cafés et de l’opulence des cafés de Vienne à la vie à la dure dans une colonie agricole à Sosua, Les déracinés fait voyager le lecteur et le plonge dans le quotidien d’une communauté composée d’individus aux parcours hétéroclites qui doit s’inventer un destin commun. C’est aussi une merveilleuse et inoubliable histoire d’amour entre la sublime Almah et son tourmenté Wilhem. Un amour brûlant, dévorant, irrésistible, condamné à devoir affronter et surmonter les épreuves les plus déchirantes …

 

Et le style dans tout ça ?

 

Une jolie plume convaincante et efficace. Un vrai souffle romanesque. J’ai particulièrement apprécié cet enchaînement de courts chapitres qui rythment bien la lecture et permettent d’avancer dans le livre facilement même lorsque l’on est contraint de lire par à-coups. Faire parler l’un des protagonistes via des extraits de son journal était aussi une bonne idée pour donner plus de profondeur aux personnages. Par contre, j’ai trouvé qu’il y avait quelques longueurs. Cela est dû selon moi à une forme de redondance entre la voix du narrateur et celle de Wilhem qui relatent à plusieurs endroits les mêmes faits sans que cette superposition n’apporte beaucoup.

 

Verdict ?

 

Quand la petite histoire sert parfaitement la grande. Voilà comment on pourrait résumer Les déracinés de Catherine Bardon. Car oui, il était judicieux d’avoir ainsi recours à la fiction pour faire découvrir au lecteur la trajectoire bouleversante de ces juifs persécutés. Hantés par les fantômes de leur vie passée, coupés de leurs racines et de leur famille, on les découvre dans leur errance. On les regarde se débattre pour survivre et reconstruire, malgré la dureté des circonstances. Le résultat est un livre plaisant à lire, évidemment émotionnellement chargé, convaincant et instructif.

Le lecteur ne peut que s’attacher aux protagonistes Almah et Wilhem et que se laisser entraîner à leur suite de Vienne à la Suisse, du Portugal aux portes d’Ellis Island, jusqu’à un coin de jungle reculé en République Dominicaine. À travers eux, ce sont les destins et les visages de milliers de ces « déracinés » juifs que l’auteur nous donne à voir. C’est une rencontre qui ne peut laisser le lecteur indifférent et qui m’aura donné envie de me documenter sur cet épisode peu connu de l’histoire du monde.

Pour conclure, c’est un livre que je recommande. Un premier tome qui me donne envie de poursuivre la saga de Catherine Bardon.

 

Quelques passages choisis …

 

« Il jugeait que nos journaux étaient responsables de la décadence du langage et, ce faisant, de la vérité. Selon lui, le jargon journalistique s’était substitué à la langue des poètes, ce en qui il n’avait pas tort. Il allait même plus loin, en professant que les conversations avaient remplacé les débats. Passionné de linguistique, virtuose du verbe, l’homme était inflexible et refusait tout compromis dans l’utilisation du langage. En tant que journaliste, je ne pouvais rester insensible à ces attaques qui, il fallait bien le reconnaitre, n’étaient dénuées ni de réalisme, ni de pertinence, ni de vision ». 

 

« Notre kibboutz est un condensé d’humanité, une université exceptionnelle sur la nature de l’homme, où l’idéal pionnier menace de voler en éclats ».

 

« C’en était fini de baisser les yeux, d’essayer de passer inaperçus, de nous fondre dans le décor, de perdre de la substance. Nous n’étions plus ces mendiants gris. Nous avions retrouvé notre dignité, nous avions une nouvelle terre, une nouvelle famille, et c’était vertigineux. Nous savions que nous vivions un moment unique, suspendu dans le cours de nos vies ; c’était à la fois enivrant, exaltant et émouvant. Je me sentais en sécurité dans cette existence de pionnier à laquelle rien ne m’avait préparé. Un puissant sentiment de liberté m’habitait ». 

 

« Petit à petit, nous apprenions. Le goût des fruits, les couleurs de la mer, les chants des oiseaux, les colères du ciel, les caresses du soleil, les odeurs de la terre, les frondaisons des arbres, les bienfaits des plantes, le nom des poissons, la beauté des fleurs, les bruits de la nuit, les chaises berceuses, les hamacs, les machettes, les ventilateurs, les lampes à huile… Nous avions changé de paradigme, renonçant à tout le superflu mais à rien d’essentiel. Peut-être touchions-nous au bonheur ? »

 

« C’était une espèce de nostalgie intangible qui nous transperçait l’âme, un manque mêlé à un ardent désir, une nostalgie ambigüe du passé et de l’avenir ». 

 

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Lu en septembre 2021 à Paris

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