Rien n'est noir
Lectures

Rien n’est noir de Claire Berest : une rencontre ratée malgré de vraies qualités

20 décembre 2019

J’ai lu le livre dont toute la blogosphère parle en cette fin 2019 : Rien n’est noir de Claire Berest, publié chez Stock. Si pour moi la magie n’a pas du tout opéré, je reconnais de vraies qualités à ce livre. Pas facile de mettre le doigt sur ce qui n’a pas marché. Je vais néanmoins essayer dans cette chronique.

 

Pourquoi ce livre ? 

 

L’honnêteté m’oblige à confesser que je n’avais aucune envie de lire Rien n’est noir. Je ne suis pas fan de Frida Kahlo. Ni du personnage, ni de l’oeuvre (encore moins d’ailleurs). Je ne connais, il est vrai, pas grand chose à l’art. Pourtant, ce que je sais, c’est que je n’aime absolument pas ses tableaux, que je trouve atrocement glauques. Un livre consacré à sa vie de femme amoureuse et d’artiste avait donc peu d’arguments pour m’attirer.

C’est sous la pression de mes pairs que j’ai cédé. On m’a vanté la qualité de l’écriture, la beauté de certaines pages et l’excellente surprise que le livre a été pour beaucoup. Alors quand je l’ai vu à la bibliothèque, je me suis dit que je ne prenais aucun risque à le lire.

Et puisque Rien n’est noir était dans la course pour remporter le Grand Prix des Blogueurs Littéraires, je me suis même dépêchée de le lire en lui donnant la priorité sur toutes mes autres lectures. Depuis, le livre est arrivé sur la seconde marche du podium de la 3e édition du Prix.

 

Ça raconte quoi ?

 

Rien n’est noir nous fait voyager du Mexique aux Etats-Unis en passant brièvement par Paris, dans les pas d’une des plus grandes artistes mexicaines de tous les temps : Frida Kahlo. Ce livre raconte la tragédie haute en couleurs que fut sa vie. Une vie de douleurs et de drames qui a nourri une oeuvre singulière. Le miroir d’une existence hantée par la souffrance physique et la violence d’un amour trop passionné pour ne pas être destructeur. Car Frida aime Diego Rivera, le grand muraliste, qu’elle épousera à deux reprises malgré son égoïsme et ses nombreuses infidélités. Colonne vertébrale de sa vie d’adulte, Diego sera l’essence de son bonheur, et plus encore celle de ses douleurs. Celui qui la poussera dans ses ultimes retranchements et nourrira son art. Une histoire d’amour et de création artistique en somme.

 

La quatrième de couverture 

 

« À force de vouloir m’abriter en toi, j’ai perdu de vue que c’était toi, l’orage. Que c’est de toi que j’aurais dû vouloir m’abriter. Mais qui a envie de vivre abrité des orages? Et tout ça n’est pas triste, mi amor, parce que rien n’est noir, absolument rien.
Frida parle haut et fort, avec son corps fracassé par un accident de bus et ses manières excessives d’inviter la muerte et la vida dans chacun de ses gestes. Elle jure comme un charretier, boit des trempées de tequila, et elle ne voit pas où est le problème. Elle aime les manifestations politiques, mettre des fleurs dans les cheveux, parler de sexe crûment, et les fêtes à réveiller les squelettes. Et elle peint.
Frida aime par-dessus tout Diego, le peintre le plus célèbre du Mexique, son crapaud insatiable, fatal séducteur, qui couvre les murs de fresques gigantesques.»

 

Et le style dans tout ça ? 

 

Pour moi, le style est la vraie force de cette biographie. Rien d’original dans cette histoire que d’autres ont déjà raconté. Mais la plume de Claire Berest est habitée d’une telle fougue, d’un tel élan, d’une telle rage que beaucoup n’y resteront pas insensibles. Tantôt mélancolique et poétique, tantôt cru et direct, le style sert efficacement les personnages et l’histoire. On sent l’auteur passionnée pour son sujet. J’ai également apprécié la structuration de l’oeuvre car l’auteur n’abuse pas des allers-retours dans le passé. Le récit est plaisant à lire.

 

Verdict 

 

De la passion, de la fougue, une belle écriture et une bonne structure. Tous les ingrédients étaient là. Et pourtant, j’ai dû me faire violence pour progresser dans le livre. Par manque d’envie, par ennui aussi. J’ai eu comme l’impression de flotter au-dessus d’une histoire dans laquelle je ne suis jamais vraiment rentrée. Je n’ai pas vibré et ai peiné à ressentir les émotions pourtant fortes dont je lisais de convaincantes descriptions. Ma réaction m’a vraiment fait réfléchir car rien ne l’explique objectivement. Il n’y a rien à reprocher à ce livre. Comment alors expliquer mon ennui ?

Certes, je n’avais aucune envie de lire un livre sur Frida Kahlo. Mais en même temps, je n’avais pas non plus envie de lire un livre sur Hemingway, et j’ai pourtant pris beaucoup de plaisir à lire Mrs Hemingway de Naomi Wood (chronique à venir prochainement). Cela ne suffit donc pas à expliquer pourquoi je suis passée totalement à côté de ce qui a provoqué un engouement quasi-généralisé.

L’histoire de Kahlo et de Rivera ne manque pas d’intérêt. Elle ne manque pas non de rebondissements. Quant aux personnages, ils sont comme les oeuvres, hauts en couleur et en personnalité. Avec ce livre, j’ai découvert que l’on peut valider chaque élément qui constitue le livre (écriture, histoire, rythme, personnages etc…) et pourtant ne pas adhérer à l’oeuvre dans son ensemble.

Mon introspection a finalement débouché sur une conclusion qui n’en est pas une. Il m’a manqué un peu de cette magie par laquelle une oeuvre touche son lecteur. Cet élément infiniment subjectif qui, sans doute comme en peinture, conditionne l’adhésion ou le rejet. J’en suis la première désolée mais c’est ainsi.

 

Pour quel public ?

 

Pour les admirateurs de l’oeuvre de Frida Kahlo qui apprécieront sans aucun doute la description enflammée et colorée de ses oeuvres. Pour les amoureux de la peinture et de l’art en général pour la réflexion sur la création, intelligemment amenée par l’auteur. Enfin, pour ceux qui aiment les histoires d’amour fou et destructeur.

 

 

Quelques passages et citations 

 

 

« Si, ça se voit pense-t-il, ça se voit parce que la force déployée qu’elle met dans chacun de ses mouvements le révèle, parce qu’on n’est pas si obstinée de vivre sans cacher des terreurs, ça se voit, Frida ». 

 

« Frida a choisi d’être choisie par l’Ogre. Elle voulait le plus grand, le plus gros, le plus drôle. Toute la montagne. Et maintenant ? Comment s’aime-t-on quand l’autre a cessé d’être impénétrable ?

 

« Elle fomente des fêtes où l’on chante et se déguise tout en tenant ferme la barque du quotidien : elle répond au téléphone, elle accepte les commandes pour son mari pintor, dessine des stratégies de retour à la vie, elle ne s’offusque de rien, affiche le sourire accidenté de ceux que l’on ne peut plus atteindre aussi facilement, ceux qui ont gagné la lutte d’autres rives que l’immédiate douleur des fureurs sentimentales ». 

 

« L’amour physique n’est plus grand chose s’il ne s’accompagne pas d’un chuchotis de vertige, même fabriqué ». 

 

« Et enfin à Coyoacan, ce havre d’ennui qui devient si beau quand on est loin ».

 

Lu à Paris en décembre 2019

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