Lectures

Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson : une lecture sombre

8 décembre 2019

J’ai enfin lu Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson, publié chez Gallimard/Folio. Dans ce journal de bord, l’auteur partage le quotidien de sa marche rédemptrice à travers la France rurale. Si ce court opus de 170 pages offre une agréable promenade dans certaines de nos contrées les plus reculées, j’ai toutefois été globalement frustrée par un manque de profondeur, très inhabituel chez cet auteur.

Le contexte sans doute …

 

Pourquoi ce livre ?

 

Sur les chemins noirs est un livre que j’ai voulu lire dès sa sortie. Tout me plaisait dans l’idée de lire LE livre que Sylvain Tesson avait écrit après son accident. J’avais lu tant de ses aventures que la perspective de le suivre sur ces « chemins noirs » à travers la France ne pouvait que me ravir. Le contexte de cette marche, entreprise pour tourner la page de sombres mois, entachés par le deuil et les épreuves, ne rendait la démarche que plus forte. Fan inconditionnelle de Sylvain Tesson et de sa plume si particulière, je ne pouvais pas passer à côté de ce livre !

 

Ça raconte quoi ?

 

Il y a quelques années, le voyageur de l’extrême Sylvain Tesson tombe d’un toit. Cloué sur son lit d’hôpital, il doit composer avec un corps cabossé et un moral en berne. Par miracle, il pourra remarcher. Il fait alors le serment, lui qui a parcouru les routes du monde, de se rééduquer en apprenant à connaître la France. Finis les aventures et les quatre cents coups, son périple se fera dans la lenteur, sans éclat et sans excès.

 

« Ces tracés en étoile et ces lignes piquetées étaient des sentiers ruraux, des pistes pastorales fixées par le cadastre, des accès pour les services forestiers, des appuis de lisières, des viae antiques à peine entretenues, parfois privées, souvent laissées à la circulation des bêtes. La carte entière se veinait de ces artères. C’était mes chemins noirs. Ils ouvraient sur l’échappée, ils étaient oubliés, le silence y régnait, on n’y croisait personne et parfois la broussaille se refermait aussitôt après le passage. Certains hommes espéraient entrer dans l’histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie »

 

On découvre dans ce livre une autre face de l’auteur. Moins fanfaron et infiniment vulnérable. Touché par le deuil et engagé dans un exercice d’introspection inédit.

Animal blessé, Sylvain Tesson empruntera des chemins délaissés, à l’écart du monde, pour relier la frontière italienne au Cotentin. Ces « chemins noirs » qui relient villages et montagnes, coteaux et fleuves l’amèneront au contact de la France profonde.

Ces chemins noirs sont également clairement une métaphore du propre état mental de l’auteur, au moment où il entreprend ce périple. En deuil suite à la perte de sa mère, qui est présente en filigrane tout au long du récit, et en reconstruction physique et morale suite à son accident. Bien plus qu’un énième voyage, ce périple est une tentative de renaissance par la marche. Une entreprise de guérison et de rédemption.

 

La quatrième de couverture

 

«Il m’aura fallu courir le monde et tomber d’un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides. La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs. Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.» Sylvain Tesson.«  .

 

Et le style ?

 

J’aime profondément la plume de Sylvain Tesson. Je le dis et le répète à chaque livre que je lis de lui. Dès les premières pages de Sur les chemins noirs, la magie a de nouveau opéré.

 

Pour quel public ? 

 

Tout public.

 

Verdict

 

Il y avait tout dans ce livre pour me plaire. La France profonde, la marche de reconstruction de soi, la gestion du deuil, les paysages, la plume unique de Sylvain Tesson …

Il y a tout cela, en effet. Et pourtant … J’ai regretté que toute cette « aventure » reste très en surface. Les analyses sur la France rurale, si elles ont un fond de justesse, sont trop manichéennes. À éviter de croiser les hommes en privilégiant les chemins noirs, l’auteur est sans doute passé à côté de sa découverte de cette France profonde.

Ce livre est traversé du début à la fin par une nostalgie presque pathologique d’un temps que l’auteur n’a pourtant jamais connu. La critique sourde du progrès est omniprésente, tout comme l’éloge de la simplicité et de la solitude. Témoin impuissant d’une modernité que manifestement il exècre, l’auteur tombe dans l’écueil d’un « c’était mieux avant » qui manque cruellement de nuance. Il m’a manqué un peu de lumière dans cet ouvrage que j’ai trouvé vraiment sombre.

Dans ses livres, l’auteur nous avait également habitués à des descriptions incroyablement réelles et marquantes des paysages. Dans ce livre, on est bien loin de cela et l’on peine par moment à visualiser les régions traversées. Petite frustration aussi de ce côté là.

Enfin, c’est sans doute par pudeur que Sylvain Tesson n’entre pas pleinement dans une analyse de ses propres chemins noirs. On ressent une infinie tristesse au fil de pages. L’introspection, si elle se devine, n’est jamais approfondie. Le livre reste en surface et le lecteur sur sa faim. C’est dommage car les thèmes à explorer ne manquaient pas d’intérêt et auraient pu faire de ce journal de bord un très grand livre.

 

En conclusion …

 

Modérons un peu ce qui précède. Oui, j’ai lu Sur les chemins noirs avec plaisir. Oui, c’est du Tesson donc c’est très bien écrit. Il y a des passages d’une incroyable beauté, et rien que pour cela, j’ai aimé Sur les chemins noirs.

On pardonne alors à l’auteur, qui sortait d’une période difficile, pour ce livre manquant un chouia de profondeur. Il s’est amplement rattrapé en nous offrant par ailleurs de véritables chefs d’oeuvre.

Ce n’est pas pour rien que je lis un Tesson une fois par an minimum.

Prochain sur ma liste : La panthère des neiges !

 

Mes passages préférés 

 

« Les nuits dehors, pour peu qu’on les chérisse et les espère, lorsqu’elles couronnent les journées de mouvement, sont à accrocher au tableau des conquêtes. Elles délivrent du couvercle, dilatent les rêves ».

 

« Je payais cher la dette contractée au bureau des excès. Ne pouvant me permettre de réveiller les démons, il fallait oublier la grâce de l’ivrogne : celle d’accueillir des carnavals dans son crâne. Et ce soir, sous un ciel pourtant idéalement bariolé pour vider une carafe de vin de Provence, je me contentais d’un verre flasque. Le paysage se borna à ressembler à ce qu’il était ».

 

« Les mûres faisaient baisser ma moyenne kilométrique. Je m’arrêtais à chaque buisson. La gourmandise faisait saigner mes mains. Le danger de se faire griffer pour la jouissance d’un fruit me rappelait quelque chose : une histoire d’amour ».

 

« C’étaient les pleines vendanges, la terre suait sa folie. Les vignes rendraient bientôt en gaieté ce qu’elles avaient raflé en lumière ».

 

« On est rural parce que l’on reste fixé dans une unité de lieu d’où l’on accueille le monde. On ne bouge pas de son domaine. Le cadre de sa vie se parcourt à pied, s’embrasse de l’oeil. On se nourrit de ce qui pousse dans son rayon d’action. On ne sait rien du cinéma coréen, on se contrefout des primaires américaines mais on comprend pourquoi les champignons poussent au pied de cette souche. D’une connaissance parcellaire on accède à l’universel ».

 

« La ruralité s’instituait en principe de résistance à cet emportement général. En choisissant la sédentarité, on créait une île dans le débit. En s’enfonçant sur les chemins noirs, on naviguait d’île en île. Depuis un mois, je me frayais passage dans l’archipel ».

 

« Combien de temps restai-je sur le pont de Montlouis hypnotisé par les remous de la Loire ? Ils écumaient entre les piles de pierre. Le courant invitait aux aventures. « Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire », comme disait Péguy, appelait à sauter (cela, il ne le disait pas) ».

 

« Sur la rive droite, le plateau de Vouvray portait les vignes et j’allais retrouver là un paysage amical. En Provence, le vin était le sang de la roche frappée de soleil ; ici, une lymphe de sable fécondée par les brumes. Les flancs du plateau tombaient en courtes falaises percées de caves. C’était une alchimie qui me ravissait : celle de la vigne et du vide. Le vin m’était interdit mais je pouvais encore m’enivrer du vide ».

 

« On devrait toujours répondre à l’invitation des cartes, croire à leur promesse, traverser le pays et se tenir quelques minutes au bout du territoire pour clore les mauvais chapitres ».

 

« Une seule chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi et battre la nature. Il y avait encore des vallons où s’engouffrer le jour sans personne pour indiquer la direction à prendre, et on pouvait couronner ces heures de plein vent par des nuits dans des replis grandioses. Il fallait les chercher, il existait des interstices. Il demeurait des chemins noirs. De quoi se plaindre ? »

 

Que lire de cet auteur ?

 

 

Lu en novembre 2019 à Paris et Turin

* * * * *

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *