Donne-moi des fils ou je meurs, c’est le cri déchirant de Rachel à Jacob dans la Bible. C’est aussi le cri déchirant de Maud Jan-Ailleret et de Laure, le personnage qui s’inspire de son histoire, devant l’impossibilité de donner la vie.
Court livre d’environ 200 pages, Donne-moi des fils ou je meurs se lit en quelques heures. Personnellement, une fois entamé, il m’a été totalement impossible de m’en décrocher. Il y avait chez moi une forme d’urgence à lire ce livre, que je n’ai pas encore vraiment décryptée.
J’ai été bouleversée par ce témoignage sincère et très bien écrit, publié chez Grasset.
Pourquoi ce livre ?
Une rencontre avec un titre !
En passant devant à la librairie, le titre m’a obligée à m’arrêter. Fort, violent, radical, le titre a fait que je n’ai pas pu ne pas l’attraper pour en lire le résumé. Une thématique qui ne me concerne pas et pourtant. J’ai eu besoin, par empathie sans doute, de découvrir cette histoire, de partager cette douleur, de vivre ce combat avec l’auteur. Happée par un tel cri, il fallait que je lise ce roman autobiographique.
Pour qui ?
Parce qu’il y est question du combat pour la maternité, Donne-moi des fils ou je meurs, parlera avant tout aux femmes. À toutes les femmes. Celles qui peuvent comme celles qui ne peuvent pas. J’espère que cette histoire sera également lue par des hommes, qui vivent en personnages secondaires souvent démunis les problèmes de fertilité. Enfin, j’espère qu’elle sera lue par une partie du corps médical, dont la froideur, le détachement et parfois l’insensibilité peuvent être vécus par celles qui ne peuvent être mères comme une épreuve supplémentaire.
Ça raconte quoi ?
L’histoire s’ouvre sur une attente. Un appel qui doit annoncer à Laure et Antoine si leur bébé va vivre. Ce couple qui s’aime depuis les bancs de la fac mène une vie confortable et projette de fonder une famille. Laure n’a que cela en tête. Mais lorsque sa première grossesse se termine prématurément, tout bascule. Une deuxième suivra qui subira le même sort. Devant le sort qui s’acharne, Laure et Antoine ne baisse pas les bras. Leur tristesse se mue en colère, puis en rage. Avec cette question « pourquoi nous ? ». La souffrance devant cette impossibilité à donner la vie va bouleverser leur vie, fragiliser leur équilibre de couple et leurs rapports aux autres dont les phrases maladroites ne font qu’accentuer cette blessure d’une indicible douleur.
La quatrième de couverture
Et le style dans tout ça ?
Très honnêtement, j’ai toujours peur quand une personne qui n’est pas écrivain se met à raconter son histoire. Ça ne fonctionne pas toujours très bien côté style. Et quand l’histoire vous concerne, difficile d’écrire avec le recul nécessaire pour faire un bon roman.
Ici, rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Maud Jan-Ailleret écrit vraiment bien. Le style et la structure du récit sont bien maîtrisés et fonctionnent parfaitement. L’auteur aurait pu tomber dans l’écueil de s’appesantir sur sa douleur dans d’interminables développements. Pourtant, ce livre est très équilibré. Il y a ce qu’il faut de sincérité pour ressentir en sa chair toutes les émotions qui traversent ce couple. Mais il y a aussi une certaine forme de pudeur qui évite d’aller trop loin dans l’intime. Le livre est court parce que tout est dit et pas un mot de trop. C’est appréciable !
Verdict
Déchirant et pourtant si lumineux.
Voilà qui pourrait résumer mon ressenti à l’heure où je referme Donne-moi des fils ou je meurs. C’est un livre dont je me souviendrai longtemps car j’ai été profondément touchée par l’histoire et les personnages. Savoir livrer un tel condensé d’émotions et partager autant en si peu de pages est pour moi la marque d’un ouvrage vraiment très réussi.
C’est en outre un ouvrage utile qui met des mots sur ce mal souvent tabou de l’incapacité à donner la vie. À travers le personnage principal, l’auteur nous ouvre avec sincérité et générosité une fenêtre sur sa propre histoire, son propre combat, sa propre douleur. Mais, et c’est sans doute la plus grande force de ce livre, elle distille tout au long du récit une bonne dose de combativité, cultive l’espoir pour nous livrer finalement et malgré tout un roman lumineux.
Quelques extraits
« Chaque été, mes frères et moi y passons nos vacances ; pas une seule année de notre existence nous n’avons dérogé à la règle. Car la bourgeoisie est maîtresse dans l’art de bâtir et d’entretenir, à travers de simples murs, des règles, des rituels et des souvenirs. Dans ces lieux bénis que sont les propriétés de famille, elle excelle à véhiculer des valeurs et façonner des normes qui dépassent les siècles, comme celle inébranlable de la famille nombreuse ». p.46
« C’est fou comme un accident de parcours, même sans dommages excessifs, peut bouleverser une façon d’être. L’autoroute professionnelle que j’ai suivie depuis plusieurs années, large et rectiligne, ne me semble plus mener nulle part. Le tiercé challenges intellectuels / salaire avantageux / reconnaissance n’est plus gagnant« . p.52
« On dit que le chagrin est un vide qui se creuse, je découvre surtout que la peine est une marée qui monte sans s’arrêter ». p.90
« Honteux et blessés, nous voudrions écraser cette jalousie et vaincre le sentiment d’injustice qui naît en nous rien qu’à les regarder. Cause perdue, la convoitise est plus forte que tout. Nous souffrons. Et plus nous souffrons, plus nous détestons nos propres réactions. Comment dire à ceux qu’on aime tant que le bruit de leur bonheur tout à coup nous agresse ? » p.125
Lu à Paris – Juin 2020
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