Il y a certains livres que l’on n’aurait jamais ouverts ou considérés si le destin n’avait pas forcé la rencontre. En l’occurrence, le destin, ici, a été ma participation au Grand Prix des Lectrices Elle 2024. Et ce livre, c’est Le convoi. C’est la force de ce prix et aussi son intérêt pour les lectrices participantes que d’amener à des livres que l’on n’aurait spontanément jamais lus. Alors les premiers mots de cette chronique seront des remerciements. Car vraiment, il aurait été terriblement dommage de passer à côté de ce récit.
De quoi parle ce livre ?
Sauvée d’un Rwanda en plein génocide grâce au convoi d’une association humanitaire, l’autrice a survécu aux horreurs de l’épuration ethnique systématique des siens. Depuis l’étranger, elle et sa mère se sont reconstruites. De nombreuses années après les faits, Beata Umubyeyi Mairesse ressent le besoin viscéral de comprendre, de retracer le fil des évènements et de retrouver d’autres survivants et témoins de l’événement. Elle se lance alors à corps perdu dans une enquête à rebondissements qui durera quinze années. Une démarche essentielle pour elle-même comme pour d’autres survivants qui deviendra ce récit : une pierre importante ajoutée à l’édifice du devoir de mémoire sur les crimes perpétrés au Rwanda.
Mon expérience de lecture
Je l’ai écrit en préambule, je ne pensais absolument pas accrocher à ce livre. Le sujet me rebutait et c’est à reculons que j’ai entamé cette lecture. Pourtant, dès les premières pages, l’autrice est parvenue à capter mon attention et à m’emporter totalement. J’ai dévoré ce récit en quelques jours et l’ai trouvé d’une qualité remarquable.
J’ai beaucoup apprécié le développement initial sur sa démarche, ses biais et ses limites. L’autrice interroge avec pertinence l’articulation du passé et du présent et la validité de son travail de recherche. Elle avertit ainsi le lecteur : « j’écrirai depuis ces identités, passée et présente, l’enfant que j’étais et la femme que je suis devenue » (…) « Si je me cantonne au récit de ce qui nous est arrivé d’avril à juin 1994, personne ne saura rien de ce que le temps fait au passé. Il l’amplifie, l’érode ou l’effrite en fragments, en cailloux qui sont dispersés ou restent immobiles, perdus au bord du chemin, mais que l’on peut retrouver quand vient le temps du récit. Alors le vieux et le neuf, la vie d’hier et celle d’après entrent en résonance et font sens ».
Il me faut aussi saluer les qualités littéraires de ce livre. L’écriture de Beata Umubyeyi Mairesse est à la fois abordable et très belle. Certaines phrases m’ont vraiment touchée. Plus généralement, rien dans Le convoi ne m’a laissée insensible. C’est une lecture qui m’accompagnera longtemps.
Enfin sur un plan plus politique, j’ai trouvé fort intéressant le développement sur l’utilisation des images et ce que l’on peut faire dire à une photo (à savoir tout et son contraire). Cet usage, parfois dévoyé, de l’information est un élément clé dans le narratif autour des grands conflits. En cela, c’est un texte qu’il serait opportun de faire lire dans les lycées, afin de développer la connaissance de ce génocide mais aussi d’aborder la question de l’esprit critique.
En conclusion
Magnifique et instructif. Le convoi a reçu le Grand Prix de l’héroïne Madame le Figaro 2024 et le Prix Essai France Télévisions 2024. Des récompenses que je trouve parfaitement méritées. Pour le Grand Prix des Lectrices Elle, il était clairement dans mon trio de tête dans sa catégorie. C’est un livre dont je ne peux que recommander la lecture, même si le sujet vous semble difficile.
Si j’avais une (mini) critique à adresser à l’autrice, c’est peut être qu’elle ne va tout à fait au bout de ces constats. Elle ne rentre par exemple pas suffisamment dans le « pourquoi » de certaines prises de position par rapport au génocide, dont celle de la France. J’aurais aimé que ce point soit davantage creusé, pour ma compréhension personnelle.
Enfin, dernière note pour l’éditeur : il est dommage que la chronologie arrive à la fin. Un préambule pour poser le contexte au début de l’ouvrage aurait été fort utile.
Lu à Saint-Germain-en-Laye en février 2024
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