Quand vous avez hâte – mais vraiment hâte – de vous retrouver dans le RER, c’est soit que vous êtes devenu fou, soit que vous y avez rendez-vous avec un livre très spécial. Car si j’ai tardé à vous parler de cette merveille d’écriture et de poésie qu’est Le soldat désaccordé de Gilles Marchand, ce n’est pas parce qu’il n’en valait pas la peine. Bien au contraire !
Non … c’est seulement parce que j’avais du mal à trouver les mots (et le temps aussi) pour retranscrire avec justesse toute l’émotion que m’a procuré la lecture de ce roman. Encore aujourd’hui, les mots ne seront pas à la hauteur et j’en ai conscience. Pourtant, je vous embarque enfin dans cette histoire marquante, avec l’espoir de vous convaincre de lire Gilles Marchand et de succomber à votre tour à son envoûtante plume.
Car Gilles Marchand, que je lisais pour la première fois, réussit l’exploit de signer rien de moins qu’un petit chef d’œuvre en à peine deux cent pages.
Pourquoi ce livre ?
Par pur hasard. Il était sur le présentoir de la bibliothèque. J’ai lu la 4e de couverture et il ne m’en a pas fallu plus ! J’adore arriver à un livre comme ça, sans a priori et sans recommandation particulière. Surtout quand cette « rencontre », fruit du hasard, débouche sur un coup de coeur …
La quatrième de couverture
« Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécue au milieu de l’Enfer. Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre ».
Ça raconte quoi ?
Nous sommes dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Le narrateur est un rescapé des tranchées qui essaie de se réinventer dans un pays qui cherche à tourner la page. Pourtant, même si les obus ont cessé de siffler autour de lui, la guerre et ses fantômes continuent de peupler son quotidien. C’est le fardeau de ceux qui ont combattu : faire bonne figure dans une société qui ne pense qu’à se divertir et vivre pleinement sa liberté et son insouciante retrouvées. Comme un trait d’union entre ce passé impossible à gommer et le présent, le narrateur est devenu enquêteur au service de tous ceux qui recherchent un disparu de guerre. Il recolle les morceaux, reconstitue les trajectoires, apporte les réponses nécessaires au deuil des familles. Jusqu’à ce qu’une femme lui confie la tâche de retrouver le soldat Joplain, son fils disparu. Une enquête qui va entraîner le narrateur sur les traces d’un soldat poète à l’histoire follement romanesque. Et à révéler au grand jour une puissante histoire d’amour et de destins contrariés …
Dire tellement en si peu de mots …
Quel talent de transmettre tant d’émotions et d’évoquer tant de sujets en à peine deux cent pages !
Le soldat désaccordé est d’abord et surtout un roman sur l’Humanité avec un grand H. Sur les ressorts de l’être humain et ce qu’il est capable d’accomplir face à ce qu’il y a de plus terrible, comme de plus beau. C’est un roman bouleversant qui parle de poésie au milieu de l’enfer des obus. D’amour au milieu du conflit le plus meurtrier du 20e siècle. D’espoir quand tout semble irrémédiablement perdu et que l’histoire est sur le point de se répéter…
Cette histoire parle aussi de la difficulté de vivre l’après. De cette recherche d’identité et de sens pour une génération de jeunes gens sacrifiés, éprouvés dans leur tête et dans leur chair par quatre ans de guerre. C’est une histoire qui a eu beaucoup de résonance en moi et que j’aurais aimé avoir eu le talent d’écrire. Une histoire qui m’a rappelé les récits de mes arrière-grands-pères, de simples agriculteurs, dont la vie a basculé un jour d’août 1914 lorsqu’ils furent arrachés à leur famille et partirent pour le front. Ce roman est tellement réaliste et convaincant qu’il pourrait être confondu avec un récit historique sur ce pan de notre histoire nationale.
Et le style dans tout ça ?
Au-delà de l’incroyable histoire qui est racontée et dont le souvenir m’accompagnera longtemps, la force de ce roman tient dans le talent magistral de son auteur. Une plume d’une rare beauté. Incroyablement poétique et pleine de personnalité, capable de faire passer le lecteur par toutes les émotions (une qualité qui n’est pas sans rappeler Pierre Lemaître dans Au Revoir Là Haut sur la même période).
Il faut aussi saluer le soin avec lequel Gilles Marchand a travaillé son narrateur. Il lui donne vie avec énormément de réalisme, allant jusqu’à le faire parler avec le phrasé, la gouaille et les expressions de l’époque. Ce parti pris qui déroute au premier abord est en réalité bienvenu. Cette langue de l’époque, étonnement drôle, apporte ça et là légèreté et nuance dans un récit par ailleurs assez grave.
Verdict ?
J’ai refermé Le soldat désaccordé, bouleversée, émue, éblouie par la beauté incandescente de ce roman, avec la conviction que je tenais là mon dernier coup de cœur. Le livre que pendant des mois, j’allais offrir à tout le monde. Celui dont j’allais parler partout. En famille, au bureau, sur Instagram, au book club de Charlotte Livres & Parlotte … Celui auquel j’allais comparer toutes les lectures suivantes. Et le fait est : je l’ai offert, j’en ai beaucoup parlé et aucun livre ne l’a détrôné depuis.
J’ai tout aimé : l’histoire, l’écriture dont j’ai déjà beaucoup parlé plus haut. Mais j’ai aussi apprécié qu’à aucun moment ce récit rythmé et puissant ne bascule dans la sensiblerie. Ça aurait pu, mais l’auteur n’est pas tombé dans ce piège. Le texte n’en est que plus réussi : délicat, lumineux, sensible oui mais incroyablement juste. Même jusqu’à sa conclusion qui ne tombe pas dans la facilité …
Bref, une merveille à découvrir sans tarder !
Le soldat désaccordé a reçu le Prix des Libraires 2023 et est publié aux Forges de Vulcain.
Dévoré dans le RER A entre Auber et Saint-Germain-en-Laye – 2023
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