Je ne m’attendais pas à cela ! Pourtant, gros coup de coeur pour Le bal des folles de Victoria Mas, publié chez Albin Michel. Une histoire singulière et marquante. Des personnages terriblement attachants. Une très jolie plume et l’atmosphère d’une époque merveilleusement retranscrite. Que demander de plus ?
Depuis que j’en ai terminé la lecture, j’ai appris que Le bal des folles est lauréat du Prix Stanislas et du Prix Première Plume 2019. Des distinctions pleinement méritées ! Il est également sélectionné pour le Prix Renaudot et le Prix du Premier Roman. Bonne chance !
Pourquoi ce livre ?
D’habitude, je me méfie des évènements littéraires. Le bal des folles a fait beaucoup parlé – en bien – ces dernières semaines. La crainte d’être déçue était donc très présente. En plus, le sujet ne m’emballait vraiment pas. Pourtant, sans trop savoir pourquoi, je l’ai attrapé à la bibliothèque. Tout en me disant qu’au pire, si les premiers chapitres n’étaient pas à la hauteur, il suffirait de le rendre plus tôt. Mais voilà, le premier chapitre m’a immédiatement accrochée. Le second m’a totalement conquise. Trois jours plus tard, c’est à regret que je l’ai refermé. Avouez que cela aurait été dommage de passer à côté !
Ça raconte quoi ?
Elles s’appellent Louise, Thérèse, Eugénie, Geneviève, Augustine … Elles sont bourgeoise, adolescente égarée, ancienne prostituée, intendante rigide et partagent leur quotidien dans un même lieu : la Salpetrière de l’adulé Charcot.
À la fois refuge et prison, on y traite par des techniques expérimentales toutes celles que la société ne sait pas, ou ne veut pas gérer. Car folles, ces femmes heurtées par la vie ou incomprises le sont-elles vraiment ?
À l’approche du bal de la mi-carême, qui ouvre les portes de ce microcosme au monde extérieur, les esprits s’égayent et se troublent.
L’arrivée de la jeune Eugénie, internée de force par un père cherchant à préserver sa propre réputation, va bouleverser la routine de ce service plutôt sans histoire.
La quatrième de couverture
«Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles, d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et les maniaques. Ce bal est en réalité l’une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle« .
Et le style ?
Certains reprocheront peut-être à ce premier ouvrage des phrases un peu longues. Pour moi qui ai été élevée au Balzac, les phrases à rallonge ne sont pas vraiment un problème, dès lors qu’elles sont bien construites. C’est le cas dans Le bal des folles. L’écriture est juste. Riche sans être ampoulée. Juste et parfaitement mise au service d’une histoire qui se lit avec un réel plaisir.
Verdict
Un presque coup de coeur !
J’ai aimé cette fiction qui fort intelligemment convoque l’histoire d’un lieu – la Salpetriere – et de la médecine et qui rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, dans une société patriarcale et masculine, il suffisait de peu pour qu’une femme se retrouve à l’asile. Servi par une très jolie plume et un texte délicat, Le Bal des folles un plaidoyer féministe intelligent, car pour une fois subtil. Il y est question du traitement de la différence par l’exclusion et l’enfermement, dans une société encore trop rigide par l’accepter.
J’ai été touchée par ces personnages attachants, solidaires dans l’adversité, simples et pourtant bouleversants de vérité.
L’atmosphère de ce roman, lourd et pourtant magnifique, m’a également conquise. J’ai aimé être plongée au coeur du XIXe siècle et déambuler dans un Paris enneigé. Ville de contrastes où s’évitent soigneusement bourgeois et miséreux et où réputation et apparences sont essentielles.
Deux toutes petites réserves …
D’abord, les personnages masculins, qui sont assez logiquement en second plan, manquent de nuances. Hormis peut-être le jeune Théophile, ils sont tous sans exception enfermés dans leur machisme et leur mépris des femmes. Cela m’a semblé réducteur et un peu caricatural. Ensuite, je suis restée sur ma faim quant au personnage de Charcot. Vrai bienfaiteur au service de la cause des femmes ou égo sur-dimensionné se servant de ses patientes comme moyen d’avancer sa propre carrière ? J’aurais apprécié que l’auteur explore ce point, même à la marge.
En conclusion, vous l’aurez compris, ce sont des réserves qui n’ont aucun impact sur mon ressenti global. Je vous recommande chaudement la lecture de ce très beau livre, que j’ai lu avec un vrai plaisir!
Mes passages préférés
« Elles sont de tous âges, de 13 à 65 ans, elles sont brunes, blondes ou rousses, minces ou épaisses, vêtues et coiffées comme elles le seraient à la ville, se meuvent avec pudeur ; loin de l’ambiance dépravée qui se fantasme dehors », p.15.
« Loin d’hystériques qui dansent nu-pieds dans les couloirs froids, seule prédomine ici une lutte muette et quotidienne pour la normalité », p. 16.
« La neige tombe depuis trois jours. Dans l’espace, les flocons imitent la forme de rideaux de perles. Une couche blanche et craquante s’est allongée sur les trottoirs et les jardins, s’accrochant aux fourrures et au cuir des bottines qui la foulent », p.23
« La nouvelle élite parisienne, bien-pensante et conformiste. Sur les visages se lit la fierté d’être né dans la famille qu’il faut ; la nonchalance de leur geste révèle le privilège de n’avoir jamais eu à connaître le labeur. Pour eux, le mot valeur ne prend sens qu’au regard des tableaux qui ornent les murs et au statut social dont ils jouissent sans avoir œuvré pour l’acquérir ». p.35
« Dès le réveil, la perspective de devoir traverser une journée entière accable déjà les pensées et les corps. L’absence d’horloge fait de chaque jour un moment suspendu et interminable. Entre ces murs où l’on attend d’être vu par un médecin, le temps est l’ennemi fondamental. Il fait jaillir les pensées refoulées, rameute les souvenirs, soulève les angoisses, appelle les regrets – et ce temps, dont on ignore s’il prendra un jour fin, est plus redouté que les maux mêmes dont on souffre ». p.43
« Les rêves sont dangereux, Louise. Surtout quand ils dépendent de quelqu’un ». p.51
« Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes », p.113.
Lu fin octobre 2019 à Paris
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