Une plongée d’une journée dans un huis clos familial où se côtoient beaucoup d’amour et une souffrance infinie. Je vous parle aujourd’hui d’un incontournable de la rentrée littéraire 2019 : Les Fillettes de Clarisse Gorokhoff. Poignant, troublant, sincère, c’est pourtant un livre qui m’a dérangée plus qu’il ne m’a séduite.
Pourquoi ce livre ?
Comment passer à côté quand toute la blogosphère « livres » ne parlait que de ce livre ? Oui, je dois bien l’admettre, j’ai lu ce livre par pure « peer pressure ». Pourtant, la quatrième de couverture ne m’emballait pas particulièrement. Mais puisque souvent ce type de comportement moutonnier conduit à de belles surprises (la dernière en date pour moi ? Circé de Madeline Miller), je me suis lancée …
Ça raconte quoi ?
Rebecca aurait tout pour être heureuse : un mari aimant, dévoué et compréhensif et trois jolies petites filles en bonne santé. Beaucoup d’amour dans cette famille en apparence normale. Pourtant, les démons de Rebecca – comprenez son addiction – peuplent le quotidien. L’auteur nous fait vivre une journée au sein de cette famille, sur le fil d’un équilibre précaire. En prenant le point de vue de chacun des cinq membres de la famille, elle décortique la complexité d’une situation de tension permanente et explore les ressorts incroyables de l’amour qui lie les personnages. C’est beau, sincère, déchirant …
La quatrième de couverture
«Avec elle, Anton s’était dit qu’il aurait la vitesse et l’ivresse. Tout le reste serait anecdotique. Avec cette fille, il y aurait de l’essence et du mouvement, des soubresauts incessants. Il l’avait pressenti comme lorsqu’on arrive dans un pays brûlant. On ferme les yeux, un bref instant, nos pieds foulent le feu ― déjà, la terre brûle. « Aujourd’hui Rebecca n’est plus une jeune fille ― mais c’est encore une flamme. Ensemble, ils ont fait trois enfants. Trois fillettes sans reprendre leur souffle. Mais trois fillettes peuvent-elles sauver une femme ? Avec des cris, des rires, des larmes, peut-on pulvériser les démons d’une mère ? « .
Et le style ?
J’ai lu ce livre au style plaisant d’une traite, une nuit d’insomnie. La structure du récit et la tension qui tient le lecteur en haleine sont propices à de longues heures de lecture ininterrompues.
L’écriture de Clarisse Gorokhoff, calibrée et sincère, sert parfaitement l’histoire. À la lecture des Fillettes, le lecteur perçoit comme une impatience, voire une urgence, dans l’écriture. Les mots puis les phrases se tendent comme des arcs qui, de temps à autre, laissent partir des flèches d’une beauté ou d’une souffrance inouïe.
Quant à la structure, il n’était pas aisé de passer ainsi du ressenti d’un personnage à celui d’un autre. Pourtant, l’exercice est réussi. L’auteur passe avec une facilité déconcertante du point de vue d’une fillette de maternelle à celui d’un bébé. Cela fonctionne bien et le résultat est convaincant.
Verdict
La qualité de l’écriture est-elle au rendez-vous ? Oui.
L’ouvrage parvient-il à susciter des émotions ? Absolument !
Est-ce pour autant un coup de cœur ? Non, hélas.
Autant le dire franchement, j’attendais beaucoup de ce livre après avoir lu tant d’éloges et autres critiques dithyrambiques. Pourtant, sur moi la magie n’a pas totalement opéré. Tout m’a semblé sombre et triste, jusqu’au décor déprimant des rues de Paris… Pire, j’ai traversé cette histoire en ressentant un certain malaise. Comme si je devenais le témoin voyeur d’une histoire beaucoup trop réelle et surtout beaucoup trop intime. Au milieu des cinq personnages, tantôt attachants, tantôt exaspérants, j’ai eu le sentiment d’étouffer et envie de fuir. Vous l’aurez compris, ce livre ne laisse pas indifférent. Après tout, c’est aussi cela la mission d’un livre : bousculer, déranger, révolter. De ce point de vue-là, mission réussie et mon ressenti n’enlève rien aux nombreuses qualités de cet ouvrage. La meilleure chose à faire est sans doute de le lire et de vous faire votre propre opinion ! À découvrir aux Éditions de l’Équateur.
Et vous, avez-vous lu Les Fillettes ? Qu’en avez-vous pensé ?
Mes passages préférés
« Un rayon de soleil éclaboussait son sourire concentré. Son visage n’avait rien d’innocent. On sentait qu’il pouvait vous en conter, vous embobiner en quelques sourires, vous étourdir avant de vous glisser entre les doigts… Mais il en émanait un rayonnement intense, quelque chose de souverain – ce que les poètes, peut-être, appellent l’absolu ».
« Bourrasque. Avec elle, Anton s’était dit qu’il aurait la vitesse et l’ivresse. Tout le reste serait anecdotique, périphérique, microscopique. Avec cette fille, il y aurait de l’essence et du mouvement, des soubresauts incessants. Il l’avait pressenti comme on sent qu’on arrive dans un pays brûlant. On ferme les yeux, un bref instant, nos pieds foulent le feu – déjà, la terre brûle ».
« Manquer d’une mère, c’est porter en soi jusqu’à la tombe une fêlure. Mais « fêlure » est un joli mot. Un mot sublime pour dire que quelque chose est brisé mais que ça n’est pas irrémédiable. Qu’on peut encore agir. C’est ce que j’ai tâché de faire dans ce livre : agripper la lumière qui s’insinue dans les failles et transformer ce qui fut ébréché. Le fortifier, le sublimer. Par la magie blanche des mots. Grâce au nimbe des morts et au courage des vivants ».
Lu en octobre 2019 à Moorea
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