Un classique est (presque) toujours une bonne idée ! Faire une pause dans l’actualité littéraire pour retourner vers nos grands auteurs est quelque chose que j’aime faire régulièrement. Cette fois-ci, c’est sur La promesse de l’aube de Romain Gary que j’ai jeté mon dévolu. Une découverte tardive d’un classique que l’on lit le sourire aux lèvres et le coeur battant.
Pourquoi ce livre ?
De temps en temps, j’aime m’éloigner des nouveautés ou de mes auteurs préférés pour me plonger dans un classique. J’ai honte d’avouer que je n’avais jamais lu Romain Gary avant La promesse de l’aube. Inconsciemment, je pense que je l’avais associé à des lectures scolaires et trop convenues. Erreur ! Bref, il traînait dans la bibliothèque et je l’ai attrapé un matin.
La quatrième de couverture
« «- Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais, alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports : – Alors, tu as honte de ta vieille mère ?»« .
Ca raconte quoi ?
La quatrième de couverture ne rend pas justice au contenu de ce livre. Je la trouve très réductrice. Ce livre, c’est surtout l’histoire de la construction d’un être. Un petit garçon, élevé par une mère célibataire encombrante et exubérante qui lui promet un avenir exceptionnel. Il sera un grand auteur, un grand acteur, un héros de guerre, il s’habillera à Londres … Peu importe la forme que cela prendra, mais il sera grand. C’est l’histoire d’amour complexe mais essentielle entre cette mère fantasque et son fils. C’est aussi un livre sur le devoir et l’amour de la France, fabuleusement écrit.
Verdict
On parle souvent de chef d’oeuvre pour qualifier cet ouvrage. Le terme est bien choisi. Alors oui, il y a quelques passages qui m’ont paru un peu longs. Mais dans l’ensemble, ce livre est un bijou qui fait sourire, trembler, vibrer. On oscille entre des passages franchement drôles et des grands moments de mélancolie. L’histoire est touchante et la manière dont elle est racontée, en maniant avec brio l’autodérision, en fait un très grand livre. Et puis quelle plume ! Si vous aimez la belle écriture, La promesse de l’aube devrait vous plaire autant qu’à moi.
Pour quel public ?
Tout public.
Et le style dans tout ça ?
Superbe ! Difficile à décrire avec justesse mais si je ne devais retenir qu’une seule chose de ce livre, ce serait l’écriture.
Mes citations et passages préférés
« J’ai voulu disputer aux dieux absurdes et ivres de leur puissance, la possession du monde, et rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et leur amour ».
« L’idée de me jeter sous un train et de me dérober ainsi à ma honte et à mon impuissance me passa par la tête, mais, presque aussitôt, une farouche résolution de redresser le monde et de le déposer un jour aux pieds de ma mère, heureux, juste, digne d’elle, enfin, me mordit le coeur d’une brûlure dont mon sang charria le feu jusqu’à la fin ».
« Nous étions alors vraiment au fond du trou – je ne dis pas de l’ « abîme », parce que j’ai appris depuis, que l’abîme n’a pas de fond, et que nous pouvons tous y battre des records de profondeur sans jamais épuiser les possibilités de cette intéressante institution ».
« Tout, chez elle, était immédiatement extériorisé, proclamé, déclamé, claironné, projeté au-dehors, avec en général, accompagnement de lave et de cendre ».
« La psychanalyse prend aujourd’hui, comme toutes nos idées, une forme aberrante totalitaire ; elle cherche à nous enfermer dans le carcan de ses propres perversions. Elle a occupé le terrain laissé libre par les superstitions, se voile habilement dans un jargon de sémantique qui fabrique ses propres éléments d’analyse et attire la clientèle par des moyens d’intimidation et de chantage psychiques, un peu comme ces racketters américains qui vous imposent leur protection.
« Cependant, je me battis courageusement, comme il sied à un Français, et je gagnai la bataille ».
« Je reste là, au soleil, le coeur apaisé, en regardant les choses et les hommes d’un oeil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue, que le bonheur est accessible, qu’il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi ».
« Attaqué par le réel sur tous les fronts, refoulé de toutes parts, me heurtant partout à mes limites, je pris l’habitude de me réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre, à travers les personnages que j’inventais, une vie pleine de sens, de justice et de compassion ».
« J’étais jeune, plus jeune que je ne le croyais. Ma naïveté cependant était vieille et désabusée. Éternelle, en vérité : je la retrouve dans chaque génération nouvelle, depuis celles des « rats » de Saint Germain des Près, de 1947, jusqu’à la beat generation californienne qu’il m’arrive de fréquenter parfois, pour m’amuser à reconnaître en d’autres lieux et sur d’autres visages, les grimaces de mes vingt ans ».
« Bien avant celle que notre État major dressa à nos frontières, ma mère avait élevé atour de moi une ligne Maginot de certitudes tranquilles et d’images d’Épinal qu’aucun doute ni aucune inquiétude ne pouvaient entamer ».
« Les succès foudroyants de l’offensive allemande ne me firent guère d’effets. Nous avions déjà vu cela en 14-18. Nous autres, Français, nous nous ressaisissions toujours au dernier moment, c’était bien connu ».
« On imagine mon soulagement lorsque ma bêtise congénitale et mon inaptitude au désespoir trouvèrent soudain à qui parler et lorsque des profondeurs de l’abîme, exactement comme je m’y attendais, surgit enfin une extraordinaire figure de chef qui non seulement trouvait dans les évènements sa mesure mais encore portait un nom bien de chez nous. Chaque fois que je me trouve devant de Gaulle, je sens que ma mère ne m’avait pas trompé et qu’elle savait tout de même de quoi elle parlait ».
« Je comprends fort bien ceux qui avaient refusé de suivre de Gaulle. Ils étaient trop installés dans leurs meubles, qu’ils appelaient la condition humaine. Ils avaient appris et ils enseignaient « la sagesse », cette camomille empoisonnée que l’habitude de vivre verse peu à peu dans notre gosier, avec son goût doucereux d’humilité, de renoncement et d’acceptation. Lettrés, pensifs, rêveurs, subtils, cultivés, sceptiques, bien nés, bien élevés, férus d’humanités, au fond d’eux-mêmes, secrètement, ils avaient toujours su que l’humain était une tentation impossible et ils avaient donc accueilli la victoire d’Hitler comme allant de soi ».
« Pendant trois ans et demi, j’ai été soutenu ainsi par un souffle et une volonté plus grands que la mienne et ce cordon ombilical communiquait à mon sang la vaillance d’un coeur trempé mieux que celui qui m’animait ».
« Je n’ai jamais imaginé qu’on pût être à ce point hanté par une voix, par un cou, par des épaules, par des mains. Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis ».
« Aujourd’hui que je n’existe plus, tout m’a été rendu. Les hommes, les peuples, toutes nos légions me sont devenus alliés, je ne parviens pas à épouser leurs querelles intestines et demeure tourné vers l’extérieur, au pied du ciel, comme une sentinelle oubliée.
Lu entre Paris et Tours – Novembre 2017
*****