Pourquoi diable vous parler des lectures du jury de mars avant même de vous parler de la sélection de janvier ou de celle de février ? Tout simplement parce que je suis membre du jury de mars. Et pour que mes camarades lectrices puissent noter les trois livres retenus, nous avons dû nous mettre en mode « lecture intensive » pour lire, commenter et noter les sept livres du premier tour.
Sept livres en un mois, car beaucoup de livres nous ont été livrés tardivement (rentrée littéraire et délais d’édition obligent !). Autant dire que j’étais contente d’avoir quelques jours de vacances sinon j’ignore comment j’aurais pu tenir le rythme. Dans cet article, je vous livre mes impressions sur ces sept livres.
Aucun coup de coeur du côté des romans qui m’ont beaucoup déçue. Sentiments mitigés en ce qui concerne les deux documents. En revanche, deux livres de haut niveau dans la catégorie policier, dont un vrai coup de coeur.
Certains de ces livres ne sont pas encore publiés. C’est donc un plaisir pour moi de partager ces petites exclu avec les fidèles lecteurs de My Little Big World … Enjoy !
Les livres du jury de mars
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Le chant des revenants de Jesmyn Ward – Catégorie Roman
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Lincoln au bardo de George Saunders – Catégorie Roman
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Les tribulations d’Arthur Mineur de Andrew Sean Greer – Catégorie Roman
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Anatomie d’un scandale de Sarah Vaughan – Catégorie Policier
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L’Empathie d’Antoine Renand – Catégorie Policier
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Edmonde de Dominique – Catégorie Document
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Pirate n°7 d’Élise Arfi – Catégorie Document
Verdict
Mon trio de tête
Je commence par mon trio de tête. Une précision utile : si j’avais pu choisir trois livres quelle que soit la catégorie, j’aurais choisi les deux policiers (auxquels j’ai mis les meilleures notes), un document et aucun des trois romans.
Policier : coup de coeur pour Anatomie d’un scandale
Ça raconte quoi ?
Lorsqu’un ministre en exercice est accusé de viol sur l’une de ses collaboratrices, sa vie bascule dans le scandale et son mariage menace de voler en éclats. Vengeance d’une maîtresse éconduite ou véritable viol ? Kate, avocate pugnace et déterminée, cherche à tout mettre en oeuvre pour mettre cet homme hors d’état de nuire et lui faire payer son crime. Sophie, sa femme, cherche à préserver la famille qu’elle a construite et se convainc de son innocence. Le monde politique, en émoi, cherche à protéger l’un des siens. Mais le pourra t-il longtemps face au passé qui ressurgit ? Quand les masques tomberont, qui gagnera, qui paiera ?
Verdict
J’ai adoré. Ce livre fait une entrée fracassante dans le trio de tête parmi tous les livres lus pour le Grand Prix des Lectrices Elle.
Je vous explique pourquoi dans la chronique que j’y consacre ici.
Roman : Le chant des revenants : de belles qualités mais un livre dans lequel je ne suis que partiellement rentrée
Ça raconte quoi ?
Le Sud des Etats-Unis, un milieu noir et pauvre, une mère incapable de l’être, un fils forcé de jouer le rôle de l’adulte, des grands-parents aimants mais impuissants, la drogue, la prison … tout est réuni pour offrir un portrait triste mais sincère d’une certaine frange de Amérique. Le chant des revenants, c’est donc l’histoire de cette famille, de ses valeurs, de son histoire et de ses blessures. Hantés par les fantômes de plusieurs disparus, les membres se débattent pour avancer malgré tout et à trouver la paix en permettant à ces revenants d’atteindre la leur.
Verdict
Au cœur de l’histoire, le personnage de Jojo, jeune garçon aux portes de l’adolescence, est sans doute celui qui marquera le plus le lecteur. Par sa maturité, son dévouement total à sa très jeune sœur, son recul vis à vis de ses propres parents, et son amour pour les grands-parents, Jojo a l’intelligence des situations et des sentiments. On ne peut qu’être touchés par ces personnages si profondément humains et avoir le cœur serré en lisant certaines pages.
Malgré les qualités indéniables de ce roman, et une écriture plutôt plaisante, je n’ai toutefois pas été emportée par cette histoire. La lecture a été fastidieuse, l’envie de poursuivre le récit manquant cruellement.
Document : Pirate n°7 : un document utile qui manque toutefois de nuance
Ça raconte quoi ?
Pirate n°7 relate le parcours judiciaire de Fahran, un jeune pirate somalien, extradé vers la France suite au meurtre d’un français dans les eaux de la corne de l’Afrique. L’auteur, l’avocate de Fahran, nous plonge dans un univers brutal, désincarné, dans de longs mois de procédures, entre doutes et espoir.
Verdict
Elise Arfi aborde dans cet ouvrage un sujet important et livre une réflexion utile sur la déshumanisation du système judiciaire et carcéral et sur la violence de certaines procédures. Dès les premières pages, le lecteur ne peut qu’être touché par l’histoire de cet individu, arrivé là un peu par hasard, et à qui on retire jusqu’au droit d’être appelé par son nom. En l’absence de possibilité de vérifier son âge et son identité, il sera un numéro. Pirate n°7. Poignant !
Court et bien écrit, on regrettera toutefois le caractère trop manichéen de ce témoignage à charge et manquant cruellement de nuances. On comprend le parti pris de l’avocat et certains faits sont effectivement insoutenables. Les relater pour permettre de faire avancer les réflexions sur certains sujets était utile. Mettre les doigts sur les faiblesses voire les fautes de l’institution permettra, faut-il espérer, de faire bouger les lignes. Mais quiconque travaille pour ou connaît le monde judiciaire sait qu’on ne peut tirer de cette affaire des conclusions générales et absolues concernant la justice et l’univers carcéral. Beaucoup au sein de ces deux mondes oeuvrent pour plus d’humanité, de respect et de justice. Ce livre les oublie trop vite en dressant un portrait bien sombre et trop peu nuancé pour remporter ma totale adhésion.
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Quid du reste de la sélection ?
Policier : pourquoi l’Empathie est un roman policier/thriller réussi et efficace
Ça raconte quoi ?
L’empathie, c’est l’histoire d’un duo de policiers à la relation ambiguë lancé aux trousses d’un serial killer atypique et au mode opératoire dérangeant.
Verdict
On ne ressort pas indemne de la lecture de ce roman policier au contenu très (trop) explicite qui malmène le lecteur en le rendant malgré lui témoin d’abominations. On en ressort éreinté et marqué : c’est un livre que l’on oubliera pas de sitôt. Accroché dès les premières pages, le lecteur est emporté dans un policier/thriller intelligemment construit et qui fonctionne bien.
Mais si globalement L’empathie est une réussite, certains aspects manquent cruellement de nuances et l’on regrettera une multiplication de scènes insoutenables sans réelle justification, et en marge de l’intrigue principale. Un choix sans doute imputable au besoin de faire une forte impression avec un premier roman, mais qui n’est pas des plus judicieux.
En outre, certains personnages, comme la mère, étaient peu convaincants car beaucoup trop caricaturaux, tant dans leur psychologie que dans leur rapport à leur profession. D’une manière générale, la première partie a souvent manqué finesse, ce qui affecte sa crédibilité.
En revanche, la seconde partie est beaucoup plus convaincante. Comme si l’auteur avait gagné en maturité à mesure que l’histoire avançait. Son style est plus affirmé et les digressions disparaissent. Cette deuxième partie est franchement puissante et réussie.
Quant à l’écriture, elle est agréable et prenante. Le lecteur ne s’ennuie à aucun moment et le style, sans être exceptionnel est bien adapté à la cadence et au contenu du récit. Résultat, on dévore ce pavé de plus de 500 pages : un véritable page-turner comme on les aime dans cette catégorie « roman policier » !
Document : Edmonde : une biographie inaboutie
Ça raconte quoi ?
Edmonde plonge le lecteur au cœur des jeunes années d’Edmonde Charles-Roux, femme de lettres et membre de l’académie Goncourt.
Verdict
Je ne connaissais rien de la vie de cette femme au destin résolument romanesque et ai pris beaucoup de plaisir à la découvrir dans cet ouvrage. Dominique de Saint Pern réussit là son pari en suscitant une vraie curiosité chez son lecteur, y compris profane, comme je l’étais en débutant ce livre. Curiosité qui donne envie de la découvrir plus encore au travers de ses œuvres comme Oublier Palerme.
De la première partie du document, j’ai tout aimé l’écriture, l’histoire, l’atmosphère des palais italiens et des années frivoles d’avant-guerre. En revanche, la seconde partie m’a ennuyée et je l’ai globalement trouvée très en-dessous du reste. Tant dans la narration que dans le rythme ou même l’intérêt de ce qui y relaté.
Surtout, j’ai ressenti une grande frustration que l’histoire se cantonne à la jeunesse d’Emonde Charles-Roux. Pourquoi se limiter à ces jeunes années sans s’autoriser à explorer sa vie de femme, ses relations amoureuses et politiques, l’élaboration de son œuvre ?
Un ressenti mitigé donc pour un livre dont le sujet était prometteur mais qui n’est pas allé au bout de l’exercice et laisse le lecteur sur sa faim.
Roman : pourquoi je n’ai pas aimé Lincoln au Bardo
Ça raconte quoi ?
Le fils du Président Lincoln vient de mourir. Il est enterré mais ne parvient pas à rejoindre l’au-delà. Entouré par un groupe d’âmes en attente de passer dans l’autre monde, des fantômes qui n’ont pas accepté ou réalisé leur mort, le jeune Lincoln découvre cet état « entre deux » et cherche à communiquer encore un peu avec son père.
Verdict
Lincoln au bardo fait partie de ces livres qui, malgré d’indéniables qualités d’écriture et de construction, ne m’a pas du tout convaincue ni plu. Il a pourtant reçu le Man Booker Prize en 2017. Si j’ai été touchée par l’épisode de la mort du jeune fils d’Abraham Lincoln et par le deuil du Président, le reste du récit m’a laissée de marbre. Pire, il m’a profondément ennuyée.
L’idée de départ était bonne, mais le résultat n’est pas au rendez-vous.
La construction du livre m’a désarçonnée. Elle est davantage celle d’une pièce de théâtre que d’un véritable roman. Certains thèmes (dont celui de la guerre de Sécession) sont insuffisamment développés. En outre, j’ai trouvé l’élocution des personnages assez déplaisante, personnages auxquels je n’ai pas du tout adhéré. J’ai enfin regretté que la lecture nécessite un véritable effort de concentration, ce qui gâche quelque peu le plaisir de lire.
Roman : Les tribulations d’Arthur Mineur ou pourquoi le Pulitzer 2018 est une vraie déception
Ça raconte quoi ?
Les tribulations d’un auteur raté et dépressif en perpétuelle crise existentielle, pathétique et auto-centré au coeur de son univers d’intellectuels imbuvables.
Vous sentez déjà à quel point j’ai aimé ce livre, n’est-ce pas ?
Verdict
Dès les premières pages, j’ai su qu’il me serait difficile d’adhérer à cette histoire à la narration un peu décousue. Cette impression s’est rapidement confirmée et ce n’est qu’au prix d’un véritable effort que j’ai lu l’intégralité de ce récit et les tribulations de ce nombriliste dépressif, pour lequel je n’ai eu aucune empathie.
Rien ne m’a touchée dans ce livre : ni l’histoire, ni sa fin tellement prévisible, ni même l’écriture. Je suis extrêmement surprise que le prix Pulitzer ait été attribué à cet ouvrage.
Le tour du monde d’Arthur Mineur aurait pu être prétexte à des échappées intéressantes et dépaysantes. Hélas, il n’en est rien et l’ennui, fil rouge de cette lecture, n’a pas été trompé par ces changements de décors qui n’en étaient pas réellement. Dommage !
Absence de relief et ennui resteront les deux mots que j’associerai à la lecture de ces tribulations.
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Mon classement final
(selon les notes attribuées)
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L’anatomie d’un scandale
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L’empathie
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Pirate N°7
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Edmonde
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Le chant des revenants
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Lincoln au bardo et Les tribulations d’Arthur Mineur
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