Lire les prix littéraires n’a jamais été une obsession pour moi. J’ai même été souvent déçue par des ouvrages primés. Alors je les aborde forcément toujours avec une certaine méfiance. Pourtant, quand la lecture d’un roman du prix Nobel de littérature 1938 m’a été proposée, j’ai décidé de me lancer. Je vous parle donc aujourd’hui de Vent d’Est, Vent d’Ouest de l’américaine Pearl Buck.
Pourquoi ce livre ?
Pour le Club de lecture Livres et Parlotte consacré aux prix Nobel féminins. Vent d’Est, Vent d’Ouest était la lecture commune du mois de janvier 2023 et c’est seulement ainsi que je suis arrivée à ce livre. En toute honnêteté, je ne serais jamais allée spontanément vers ce livre. Le thème ne m’attirait pas franchement et la couverture me déprimait …
La quatrième de couverture
« Années 1920. Kwei-Lan « vient d’être mariée », sans le connaître, à un jeune Chinois auquel elle a été promise avant même sa naissance. Ce Chinois revient d’Europe, il a oublié la loi de ses ancêtres, il ne respecte ni les coutumes ni les rites…
Le frère de Kwei-Lan, l’héritier mâle, dépositaire du nom et des vertus de la race, qui vient de passer trois ans en Amérique, annonce son mariage avec une étrangère ; il revient avec elle…
À travers les réactions des membres de cette famille de haute condition où l’attachement aux traditions, le culte des ancêtres, l’autorité du père et de la mère n’avaient encore subi aucune atteinte, la grande romancière Pearl Buck nous fait vivre intensément le conflit souvent dramatique entre la jeune et la vieille Chine.
Ça raconte quoi ?
Nous sommes dans la Chine des années 20. Toute la vie et l’éducation de la jeune Kwei-Lan n’ont toujours eu qu’un seul objectif : faire d’elle une bonne épouse. Une épouse docile, serviable, discrète et ne vivant que pour satisfaire celui qui a été choisi pour elle depuis toujours. L’honneur de la famille tient dans le respect de ces traditions ancestrales. Mais quand Kwei-Lan découvre enfin cet époux, tout bascule.
Car ce médecin qui est allé se former en Occident entend vivre d’une manière bien différente de celle que les traditions voudraient imposer. Déstabilisée, parfois choquée par les moeurs venues avec ce « Vent d’Ouest », Kwei-Lan vit d’abord son nouveau quotidien comme une humiliation. Puis, se rappelant qu’une femme doit satisfaire son mari, elle tente par tous les moyens de se conformer à ses attentes. Quitte à provoquer la fureur et l’indignation de ses parents. Des parents autoritaires et ancrés dans la tradition, qui bien vite se retrouvent confrontés à une autre déconvenue : leur fils qui revient d’Occident entend épouser une américaine.
Vent d’Est, Vent d’Ouest décortique ce qui se joue au moment où la Chine commence à ressentir les premières influences du monde occidental. Une ouverture vécue comme une abomination par les anciennes générations et comme une chance par les nouvelles. Au milieu de ce conflit générationnel et culturel, Kwei-Lan est le symbole d’un tiraillement identitaire et d’un pont entre deux mondes.
Et le style dans tout ça ?
Vent d’Est, Vent d’Ouest se lit facilement et vite (160 pages). Le style est plaisant. On oscille entre des passages d’une grande poésie et d’autres assez naïfs. L’écriture en est globalement presque touchante dans l’écriture. Quand j’ai découvert – a posteriori – qu’il s’agissait d’un premier roman, je n’ai pas été surprise. Tout s’expliquait.
Je retiendrai la délicatesse de la plume de Pearl Buck et la qualité de ses descriptions. Deux aspects qui m’ont rappelé mon ressenti lorsque j’ai lu Une rose seule de Muriel Barbery ou encore Le bureau des jardins et des étangs de Didier Decoin. Les deux romans se déroulent au Japon – et non en Chine – mais on y retrouve ce sens de l’esthétique et de la poésie très asiatique (cliché assumé).
« Le vent du soir s’élevait et, au travers du firmament, une procession de nuages blancs tourbillonnaient avec la rapidité de grands oiseaux blancs, tantôt obscurcissant la face de la lune, tantôt la laissant d’une pureté magique. Les nuages filaient si vite qu’il semblait que la lune elle-même courait au-dessus des arbres. Une odeur de pluie imprégnait l’air nocturne. La joie de cette beauté et de cette paix gonfla mon coeur. J’éprouvai soudain un grand contentement de ma vie. Je levai les yeux et j’aperçus mon mari qui me contemplait. Un bonheur exquis et confus tremblait en moi ».
Verdict ?
Bien, intéressant, mais sans plus. Voilà comment je résumerais mon ressenti en refermant ce court livre. J’ai lu Vent d’Est, vent d’ouest d’une traite et ce fut globalement une lecture intéressante.
J’ai aimé la manière dont le roman, dont la trame narrative est par ailleurs vraiment pauvre, offre un portrait de la Chine des années 20, à travers les soubresauts qui agitent une famille chinoise. Il faut lire Vent d’Est, Vent d’Ouest comme on regarderait un tableau, en insistant sur tous ses détails et ses subtilités.
Au sein de cette famille, on observera alors la manière si différente avec laquelle les générations affrontent le changement. Le rejet pour les anciens, l’intérêt pour les plus jeunes. Un conflit de génération marquant, qui constitue un fil rouge tout au long du roman.
On y lira surtout le choc de deux cultures, dans une Chine commençant tout juste à s’ouvrir. Le point de rencontre de ces mondes, c’est le personnage principal : Kwei-Lan. Tiraillée entre le Vent d’Est incarné par ses parents et reçu en éducation et le Vent d’Ouest apporté par son mari, son frère et sa future belle-soeur, Kwei-Lan devient malgré elle un pont entre deux cultures. Cet aspect du livre est intéressant, bien traité et psychologiquement convaincant.
« Je suis comme un pont fragile, reliant à travers l’infini le passé et le présent. Je serre la main maternelle. Je ne peux pas la laisser échapper, car sans moi ma mère serait seule. Mais mon mari tient les miennes, il les tient solidement. Je ne pourrai jamais laisser fuir l’amour ».
Enfin, j’ai aimé que le personnage principal se révèle et renaisse en donnant la vie. Un autre aspect du livre que je trouve touchant et convaincant.
Qu’en ont pensé les autres lecteurs ?
Lorsque nous avons parlé de ce livre, lors de la soirée du Club de lecture Livres et Parlotte, j’ai entendu plusieurs critiques.
Beaucoup de lectrices ont regretté que ce livre soit très orienté « pro-Occident » et fasse passer la culture chinoise comme archaïque et recroquevillée sur elle-même. Bref, que le livre soit déséquilibré au profit d’un sentiment pro-occidental.
La seconde critique a consisté à regretter que le personnage principal soit une marionnette soumise à l’extrême aux volontés de sa mère, puis de son mari. Une jeune femme finalement peu éduquée et incapable de penser par elle-même.
Pour moi, ces critiques peuvent facilement être écartées si l’on replace dans le contexte de l’époque. La société des années 20 était encore largement dominée par un patriarcat ancré et accepté. Quant à l’accusation selon laquelle Pearl Buck met en avant la supériorité de la culture occidentale sur la culture chinoise, je pense qu’elle est largement infondée. Encore une fois, n’oublions pas qu’il s’agit d’un premier roman. En outre, c’est précisément son travail sur la Chine et la connaissance intime qu’elle en avait qui ont valu son prix Nobel à Pearl Buck. Ce qui me conduit à penser qu’il s’agit certainement d’un mauvais procès. Il faudrait lire d’autres de ces ouvrages pour finir de s’en convaincre. Durant la soirée, une lectrice a conseillé Terre chinoise.
Que lire d’autre sur la Chine ?
Pour se plonger dans les bouleversements qui ont émaillé la Chine du XXe siècle, vous pouvez lire Maîtres et esclaves de Paul Greveillac. Un ouvrage très bien documenté mais vraiment exigeant.
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Lu à Saint Germain en Laye en janvier 2023