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Blanc de Sylvain Tesson : une déclaration d’amour à la montagne

3 février 2023

Quatre hivers pour traverser les Alpes à ski avec deux acolytes. Voici le pitch de Blanc, la dernière aventure de Sylvain Tesson. Une lecture dépaysante et contemplative qui se dévore en quelques heures … L’éloge du mouvement et une déclaration d’amour à la montagne.

 

Pourquoi ce livre ?

 

J’ai tendance à ne même pas regarder la quatrième de couverture quand un livre de Sylvain Tesson me tombe sous la main. Celui-ci, son dernier, n’a pas fait exception. J’ai donc lu Blanc parce que j’aime l’écriture et les aventures de Tesson de manière assez inconditionnelle.

 

La quatrième de couverture

 

« Avec mon ami le guide de haute montagne Daniel du Lac, je suis parti de Menton au bord de la Méditerranée pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. De 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, nous nous élevions dans la neige. Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule – espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté ? » S.T..

 

Ça raconte quoi ? 

 

Qu’il traverse la France à pied ou parte sur les traces d’une panthère des neiges, Sylvain Tesson a toujours une aventure hors du commun à partager avec son lecteur. Celle-ci, vécue entre 2018 et 2021 s’inscrit dans la lignée des précédents défis que Sylvain Tesson aime se lancer. De Mention à Trieste en Italie, Sylvain Tesson, Daniel du Lac et Philippe Rémoville se donnent rendez-vous quelques semaines par an pour parcourir les Alpes à ski. Blanc est le journal de bord de cette épopée vertigineuse, risquée mais également salvatrice. Une aventure menacée par l’arrivée d’un certain virus venu d’Asie …

« Dans le Hoggar, au Mont-Blanc, dans le Verdon, sur les parois d’Espagne et d’Italie, on s’était persuadés que le salut est la fuite. Et nous préparions la cavalcade suivante, une fois oubliés nos serments de ne jamais recommencer. Nous repartions toujours. Le mouvement résout tout ».

 

Et le style dans tout ça ?

 

Sublime, toujours. Je vous en parle dans mon verdict …

« Je voulais que mon visage, qui est le paysage de l’âme, fixe les paysages qui sont l’âme du monde. Ce soir-là, je sus que j’avais trouvé le paysage ultime. Le relief se volatilisait, le ciel n’y était plus séparé de la terre, le corps s’y déséquilibrait, privé de ses repères, le minéral se vaporisait, l’esprit s’y lustrait, les formes s’unifiaient ».

 

Verdict ?

 

J’ai intitulé ma chronique « une déclaration d’amour à la montagne ». Et c’est vraiment ce que j’ai ressenti en parcourant ce livre. Sylvain Tesson nous livre le témoignage sublime, souvent lyrique, de son rapport à la montagne. Les plus beaux passages sont d’ailleurs et sans surprise ceux qui évoquent la magie qu’opère « le Blanc » sur quiconque le traverse ou le contemple.

Aucun surprise non plus sur la qualité de l’écriture. L’auteur excelle à livrer ses récits sous ce format journal de bord. Il écrit dans une langue directe mais soignée. Des phrases souvent courtes, percutantes, qui vous cueillent et vous subjuguent. Bref, vous l’aurez compris, Blanc aussi a ce je-ne-sais-quoi qui me fera toujours me jeter sur un Tesson, quelle que soit l’histoire.

J’ai cependant deux petits bémols.

Pour le premier, je ne peux en réalité m’en prendre qu’à moi-même. En effet, j’ai peut être lu le livre trop rapidement (j’étais coincée dans un avion) pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. À la manière des protagonistes progressant lentement à travers les massifs alpins, j’aurais dû prendre davantage mon temps. En le lisant trop vite, j’ai été un peu lassée par certaines répétitions pourtant parfaitement légitimes lorsqu’il s’agit d’évoquer une routine précisément répétitive.

Second bémol : j’ai regretté que l’auteur ne se soit pas davantage livré, comme il a en principe l’habitude de le faire. Dans Blanc, Sylvain Tesson reste très en retrait. Plus étonnant encore, rares sont les passages où l’auteur se livre à une analyse de l’époque, de l’actualité ou partage ses réflexions sur la vie. Comme si la montagne avait pris toute la place.

Peut être trop de place. Alors oui, il y a bien quelques passages sur le Covid et sur la morosité ambiante. Mais sur l’ensemble du livre, c’est un peu anecdotique. C’est sans doute ce regard affuté sur le monde – la patte de Sylvain Tesson en quelque sorte – qui m’aura le plus manqué dans ce livre.

 

Morceaux choisis 

 

« Le vent se leva à midi et le grésil torgnola le monde. J’allais pendant des semaines vivre ses alternances de grâce et de peine. À chaque fois que le monde me révélerait sa beauté, il faudrait que j’en payasse la joie par une paire de gifles ! »

 

« La montagne était notre église. Notre épuisement, le soir, après les escalades, la preuve de notre foi. La sensation d’être vivant, au bord d’un gouffre, ne pouvait-t-elle pas porter le nom de Dieu ? »

 

« Cette fois, je partais dans le Blanc. Et je comptais sur la couleur substantifique pour me pourvoir la joie. Le séjour dans les paysages de neige est une saignée de l’âme. On respire le Blanc, on trace dans la lumière. Le monde éclate. On se gorge d’espace. Alors, s’opère l’éclaircie de l’être par le lavement du regard ».

 

« Où menait notre ligne ? Allions-nous vraiment vers un but ? Non, nous allions dans le Blanc. Nous étions passagers de la substance. C’était un narcotique. Il procurait l’oubli, assurait l’hypnose. Et pour la première fois depuis toutes ces années où je courais les routes, je trouvais davantage de grâces dans le cheminement que dans la destination. C’était la leçon du Blanc ».

 

« Pour la première fois dans l’Histoire, huit milliards d’êtres humains allaient assister en temps réel aux expérimentations des gouvernements en matière de contrôle des masses. On parlait de « pandémie ». Le même terme que pour les pestes historiques où la camarde fauchait des millions d’âmes ! Il y avait de quoi frémir, en écoutant les membres autoproclamés de la nouvelle élite : les experts sanitaires ».

 

« La moindre course dans la montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi. Dans la neige, l’éclat abolit la conscience. Avancer importe seul. L’effort, efface tout – souvenirs et regrets, désirs et remords ».

 

« La bureaucratie fourbissait son arsenal d’expressions hideuses et de concepts infantiles. Ils allaient devenir des lieux communs : « gestes barrières », « distanciation sociale ». Nous les entendions pour la première fois. Le grand enfermement commençait. Dans quelques jours, le monde allait entrer en quarantaine. Pour l’instant nous l’ignorions. On pouvait encore s’en aller. Du Lac et moi ne demandions rien d’autre. Nous tenions l’expression des Orientales de Victor Hugo pour un motif suprême de l’existence : « la liberté sur la montagne ». Le reste, nous importait peu ».

 

« Les journées tombaient, avec leur moisson de beauté. Comment devenir stendhalien ? Il fallait tracer son sillage entre les marques de la splendeur et les effets de la fantaisie. Glisser à la surface des choses pour les sentir profondément. Ordre du jour : tout saisir, tout aimer, se garder des théories, mépriser les idées générales, rafler les impressions particulières ».

 

« À Paris, autour de moi, chacun se jugeait victime du sort, offensé par ses semblables, jamais reconnu à sa juste valeur, lésé par la vie et abandonné aux mauvais vents par un État dont on exigeait le secours intégral tout en combattant la moindre immixtion. Même la gaieté avait rejoint le rang des vertus suspectes, remplacée par l’exercice d’indignation ». 

 

« Quelques psychanalystes associaient les visions de la blancheur à une hallucination morbide exprimant le souvenir d’un manque maternel. D’autres à « un désir d’absence, de suspension du lien social et d’effacement ». En somme, l’amour du Blanc total trahirait la tentation douloureuse de l’annulation. Ils me les brisaient ces sexologues austro-dépressifs. Il y avait une jouissance plus qu’une souffrance à imaginer sa dématérialisation. Mieux, il y avait une joie !  – Qu’en penses-tu, du Lac?  – Les psys devraient faire du ski ».

 

« Le Blanc s’étendait dans l’indifférencié, par delà l’histoire et la géographie. Le Blanc ne constituait pas un milieu naturel, encore moins un paysage, mais une substance. Rapportée au monde abstrait, une substance s’appelle l’universel. Sa traversée s’appelle un rêve ».

 

« La neige est un élément transitoire, fragile et éphémère. Un jour, elle fondait. Le monde revêtait alors une forme que le manteau avait dissimulée. On croyait se glisser dans un décor. On s’invitait dans une parenthèse ».

 

Que lire de Sylvain Tesson ?

 

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Lu dans l’avion direction Marrakech en janvier 2023

 

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